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Faut-il aimer à la folie ? En attendant Bojangles

En voilà un film bouleversant. Sorti le 5 janvier dernier, le titre fait référence à la chanson « Mr. Bojangles » sortie en 1968, écrite par (feu) Jerry Jeff Walker ; reprise ensuite par l’immense Nina Simone, Bob Dylan ou encore Robbie Williams et ici interprétée par Marlon Williams. L’histoire s’inspire librement du premier roman éponyme d’Olivier Bourdeaut publié en 2016, dont le succès lui avait déjà valu d’être adapté en bande dessinée et au théâtre. Le film met en scène un couple follement amoureux… pour qui la folie finira par avoir raison d’eux. Retour sur ce film à travers un tableau psychiatrique et une réflexion sur la maladie, l’amour et l’imaginaire !

Informations sur le film

Troisième long-métrage réalisé et produit par Régis Roinsard, En attendant Bojangles fait suite à Populaire (2012) et Les Traducteurs (2020). Cette comédie dramatique franco-belge de 2h05 convie Romain Duris et Virgina Efira dans les rôles principaux de Georges et Camille.

Mais on a aussi le plaisir d’y retrouver Grégory Gadebois qui a déjà joué avec Virginie dans Police (2020). Il y interprète le rôle de Charles – aussi connu sous le sobriquet de « l’Ordure »-, qui succède à son rôle de cuisiner dans Délicieux (2021) et de François Hollande dans Présidents (2021) avec Jean Dujardin. L’histoire se déroule dans les années 50/60 et le scénario a été écrit par Romain Compingt, qui a déjà travaillé sur les précédents films du réalisateur. Cette fois, l’histoire aborde le point de vue du père avant de basculer sur celui du fils.

Résumé : Camille et Georges dansent tout le temps sur leur chanson préférée. Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis. Jusqu’au jour où la mère va trop loin, contraignant sa petite famille à tout faire pour éviter l’inévitable drame…

Un couple pour le moins… atypique

Le film commence in medias res, et cela pour une bonne raison. Par ce procédé scénaristique, le spectateur est directement projeté dans l’univers fantasque des deux protagonistes lors d’un cocktail mondain. Cela permet d’insister sur l’immédiateté du coup de foudre aussi car dès les premières minutes du film, Georges est littéralement happé par le mystérieux aura que produit Camille et sa danse langoureuse. Ils décident alors de se marier sur le champ… dans une église voisine !

Une romance qui semble aller de soi tant leurs personnalités sont compatibles. En effet, tentons déjà de dresser le tableau psychiatrique de Camille. Son personnage présente assez manifestement un trouble maniaco-dépressif ou « bipolaire » dans le langage courant, qui laisse parfois penser à un trouble psychotique bref avec notamment la survenue d’idées délirantes lorsqu’elle se balade nue dans la rue en hiver, de déconnexion avec la réalité par le refus de faire comme tout le monde (comme répondre à ses courriers et ne pas scolariser son fils entre autres) et même d’hallucinations, quand elle se sent menacée par leur propre oiseau domestique ou sa propre famille.

Une femme particulièrement grandiloquente et loquace tout comme son mari qui passe le plus clair de son temps à baratiner les gens et en s’inventant des vies. Même si Georges n’a pas le même profil psychiatrique que sa dulcinée, sa personnalité disons… « histrionique » (anciennement hystérique) avec une bonne dose de mythomanie, de narcissisme et d’érotisation des rapports sociaux colle parfaitement. Deux profils psychologiques très friand de liberté, de spontanéité et d’imagination.

Nous plongeons donc dans le quotidien de ce couple hors du commun avec des moments d’exubérance qui permettent de fuir le réel, dans un registre très semblable à celui de Gatsby le magnifique (2013) avec l’organisation de grandes fêtes privées où l’on y danse sans complexer. Mais au-delà de ces élans d’euphorie, Régis Roinsard émeut. Non seulement touchant, le film frappe par sa beauté et sa justesse : déjà par l’étonnante maturité de Solan Machado-Graner (qui joue Gary)… un petit garçon si mignon pour qui il s’agit seulement du tout premier film ! Un futur grand acteur qui nous livre une prestation époustouflante. Par ailleurs, inutile de souligner les jeux d’acteur du duo Duris-Efira qui fonctionne divinement bien.

Les décors créés par Sylvie Olivé et les costumes par Emmanuelle Youchnovski contribuent à former cet univers de fantaisie dans une grande élégance. La BO signée par le groupe « Clare and the Reasons » accompagne de son orchestre l’action, tantôt trépidante puis douce et déchirante du scénario… finalement à la manière de ce qui se passe dans la tête de Camille qui oscille entre joie et tristesse.

Du côté de la réalisation, nous pouvons mettre l’accent sur le caractère comique des transitions brutales qui choquent par la longueur des ellipses temporelles ! Enfin, notons la puissance esthétique et émotionnelle de la scène de flamenco… un instant précieux et sublime du cinéma qui fait office d’exutoire aux personnages : un véritable bijoux rare où la magie se transmet à l’écran sur le titre « Adoro » de Lola Flores. La danse fût quant à elle chorégraphiée par Marion Motin, qui a notamment travaillé avec Christine and the Queens et Stromae.

Réflexions

Le film offre une belle représentation de la maladie. Car oui, c’est bien drôle d’être « foufou »… mais pas quand il s’agit d’une maladie psychiatrique. Du début à la fin de l’histoire, le spectateur traverse un long processus de dégringolade en passant par l’hôpital psychiatrique. On peut d’ailleurs témoigner de la froideur de la prise en charge psychiatrique, qui n’a malheureusement pas tant changé au fil des années… Le film permet également de s’interroger sur la vie et l’amour : leur puissance, leur vérité et leur beauté, et du fait que cette force peut aussi en être la faiblesse. En effet, si l’amour fou est le plus intense de tous, il demeure le plus foudroyant quand il s’arrête.

S’il y a bien une leçon à tirer de cette histoire, elle pourrait se résumer à cette expression d’Alfred Lord Tennyson : « Il est mieux d’avoir aimé et perdu que ne jamais avoir aimé du tout » car finalement, cette folle histoire permit aux personnages de vivre une vie riche ; remplie d’amour, d’expériences et de joie. Nous pouvons aussi nous questionner sur le rôle de l’imaginaire et sa valorisation dans la société. Dans le film, un personnage s’exclame « On n’échappe pas à la réalité ». Alors quoi, la réalité est-elle une fatalité dont on ne peut jamais s’échapper ? Puisque la réalité dépeinte dans l’histoire est synonyme d’ennui, faut-il s’en détourner ou l’améliorer ? Nous pourrions déjà apprendre à cultiver notre imaginaire… ou bien sa folie ? À quel point ? Et surtout… à quel prix ? Une série de questions laissées en suspens après la visualisation et qui ne mériteraient que d’être débattues ! Enfin, tout cela pose la question de la frontière avec le pathologique et le jugement social. Car effectivement, nombreuses sont les personnes qui méprisent les individus « anormaux » (au sens littéral) sans penser qu’ils pourraient en fait souffrir de maladies invisibles. En attendant, continuons de danser la vie, célébrer l’amour… et d’être foufous.

Réception des spectateurs

En somme, l’histoire du Monsieur Bojangles continue d’être appréciée par le public même jusque dans les salles de cinéma, comme en témoigne son accueil sur Imdb avec la note de 7.1/10. Le film a aussi été récompensé des Chabrol « du public » et du « jury jeunes » au festival du film du Croisic l’année dernière.

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