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En arpentant les rues du Mexique au fil de mes conversations amicales, j’ai découvert un pan entier de la culture populaire mexicaine, peuplé d’histoires, de mythes et de légendes captivantes. Ces narratives pittoresques et singulières sont véritablement ancrées dans l’imaginaire collectif du pays. Dans cet article, je me propose de vous faire découvrir trois des récits qui ont le plus attisé ma curiosité par leur richesse et leur originalité.
La légende de la Llorona, certainement la plus connue, est une figure incontournable de la culture populaire, souvent évoquée dans le cinéma et la musique du pays. J’aborderai également la légende du Chupacabras, un mythe prépondérant dans les états du nord du Mexique.
Enfin, je vous conterai l’histoire fascinante de Popocatepetl et Ixtaccihuatl, deux amants mythiques dont l’amour éternel a donné naissance à deux célèbres volcans dans l’État de Mexico.
Raconter une légende intemporelle : La Llorona (L’appelée aussi, la « Pleureuse »)
Il était une fois, dans la ville de Mexico du XVIe siècle, le spectre sonore nocturne terriblement poignant de la Llorona qui planait et résonnait, inlassablement, chaque nuit. Malgré l’universalité de son écoute, il était terriblement délicat d’identifier l’exacte origine de ce lancinant appel. Plusieurs courageux avaient tenté de la localiser mais avaient échoué, parfois jusqu’à en perdre la raison. D’autres, bien plus malchanceux, avaient succombé à la terreur.
Les représentations précises de cette entité sont exceptionnellement rares. On dit d’elle qu’elle serait une « dame enveloppée dans un long voile blanc, flottant dans l’air, le visage masqué par un voile diaphane qui virevolte autour d’elle. Lente et résolue, elle traverse la cité durant les heures les plus sombres. Et son lament effraie les passants, hantant le silence nocturne. »1
La Llorona serait une malheureuse femme qui aurait noyé ses propres enfants dans un accès de folie avant de se suicider, espérant ainsi rejoindre ses petits dans l’au-delà. Mais, se voyant refuser l’entrée, son esprit torturé erre la nuit en cherchant désespérément ses enfants. Elle dérobe par méprise les petits innocents qu’elle croise sur sa route, croyant retrouver les siens, avant de les noyer après la cruelle réalisation de son erreur.
La Llorona est tout sauf un cas isolé. Elle fait figure parmi une pléiade d’entités féminines similaires, souvent séduisantes, irrésistibles mais mortellement dangereuses envers les hommes comme envers les enfants, récurrentes dans le folklore mexicain.
De nombreuses versions de cette histoire existent. L’origine de cette âme en peine demeure mystérieuse. Certains affirment que le spectre de la Llorona a émergé au sein de la civilisation aztèque (1300-1521). D’autres prétendent la retrouver dans les annales des missionnaires du XVe siècle. Si le début précis de ce mythe spectral est imprécis, l’identité réelle de la pleureuse est tout aussi incertaine.
Était-elle une femme qui avait succombé loin de son cher mari, qui l’aurait vite oubliée et refait sa vie ? Ou peut-être une veuve anxieuse pour sa progéniture tombée en disgrâce sans personne pour leur venir en aide ? Ou était-elle la traitresse Malinche, figure ambivalente représentant simultanément la trahison, la victime consentante et la mère symbolique du peuple mexicain moderne ?
Ce récit collectif reste toujours bien vivant au Mexique et, plus largement, en Amérique Latine. L’effrayante légende de la Llorona est constamment réinventée, notamment dans la musique et le cinéma. Bon nombre d’artistes contemporains revisitent la chanson de la Llorona à leur manière. Par exemple, elle est chantée dans le film d’animation Coco (2017). Au cinéma, l’effigie de la Llorona continue d’inspirer les réalisateurs de films d’horreur, comme avec La Llorona (2019) réalisé par Jayro Bustamante, ou encore La malédiction de la Llorona signé Michael Chaves la même année.
Le Mystère du Chupacabras
Chupacabras, une terminologie hispanique qui se traduit littéralement par « para-sangs caprins », grimpait fièrement aux premières pages de journaux tels que El Votero et El Nuevo Dia au beau milieu de l’année 1992. Originaires de Puerto Rico, ces journaux consignaient scrupuleusement les attaques fréquentes et inexplicables auxquelles étaient soumis des animaux familiers comme les chèvres, les ovins, et autres, principalement dans la ville de Moca, nichée au Nord-Ouest de l’île.
A cette époque, une sorte de folklore avait déjà commencé à se former autour de la bête, désignée alors sous l’appellation d’El Vampiro de Moca (Le Vampire de Moca). On pointait du doigt un culte sataniste comme étant le cerveau de ces actes barbares. Cependant, cette hypothèse perd en crédibilité lorsque des fermiers vivants à travers le pays font état des mêmes types de monstruosités.
Les déclarations se recoupent : un orifice perforé dans la région du cou, un certain nombre d’organes internes mystérieusement évaporés et une importante déperdition de sang. La rumeur du Chupacabras commence alors à franchir les frontières de Puerto Rico, touchant une grande partie de l’Amérique dans les années 1990 : Bolivie, États-Unis, Brésil, Argentine, Chili et Mexique pour n’en citer que quelques-uns.
Les nombreux témoignages initiaux dressent le portrait d’une créature rougeâtre à l’allure quasi-reptilienne, coiffée d’épines dorsales et marchant sur deux pattes postérieures. Des experts ont conjecturé que cette première représentation graphique aurait pu être influencée par la série blockbusters hollywoodienne Species (La Mutante) de Roger Donaldson, diffusée pour la première fois en 1995. Curieusement, au fil du temps, le récit sur l’identité physique du Chupacabras mute pour laisser place à une créature davantage poilue, se déplaçant sur ses quatre membres.
Les premières années du XXIème siècle furent marquées par l’intervention de biologistes du Texas qui, intrigués par de nombreux cadavres d’animaux à la descripiton se rapprochant de celle du Chupacabras, se sont penchés sur l’affaire.
À leur tour, ils se livrent à une série d’analyses qui les conduiront finalement à la conclusion que le coupable serait l’espèce canine. Plus précisément, des coyotes, ainsi que d’autres mammifères canins, tous infectés par un acarien, le sarcopte, vecteur de la maladie de la gale. AGonisants, perdant abondamment leurs pelages, ces canidés affaiblis se seraient rabattus sur les proies les plus accessibles tels que les chèvres et les ovins logés au sein des fermes environnantes. Tout compte fait, en dépit de ces conclusions scientifiques, le mythe du Chupacabras continue d’imprégner profondément l’imaginaire collectif de la culture mexicaine, gravant ainsi sa légende dans les annales des histoires urbaines à sensation.
Un aperçu de la mystique : La saga des volcans Popocatepetl et Ixtaccihuatl
La légende ancestrale de la passion inébranlable entre Popocatepetl et Ixtaccihuatl a, depuis les âges azthèque, offert une explication mythique émouvante à l’étrange présence des deux impressionnants volcans se dressant fièrement aux abords de la métropole mexicaine.
Aux prémices du seizième siècle, un pacte solide semble se tisser entre les territoires de Tenochtitlan, Tlacopan et Texcoco, les trois entités politiques puissantes de l’époque, au cœur du Mexique actuel ; désireuses d’étendre leur influence sur les territoires limitrophes. Tlaxcala, la ville opulente où réside nos deux protagonistes, semble alors dans la mire de ces forces expansionnistes.
Le leader de Tlaxcala tente tant bien que mal de résister à la pression fulgurante de cette triade aztèque, mais l’augmentation incessante des prélèvements fiscaux corrompt peu à peu l’équilibre de la cité, rendant la vie de ses habitants de plus en plus précaire.
Dans l’espoir d’y mettre un terme et de libérer son peuple de cette étreinte, le chef exhorte Popocatepetl d’aller au combat en Oaxaca. En cas de victoire, il lui promet l’union avec sa fille, la sublime Ixtaccihuatl. Le plus courageux des guerriers se lance alors bravement au front avec ses troupes. Cependant, après son départ, un adversaire sournois et envieux de l’amour porté par la princesse à Popocatepetl feint une funeste rumeur : la mort supposée du guerrier intrépide au combat. Entendant cela, Ixtaccihuatl sombre lentement dans le désespoir, passant ses jours à pleurer. Elle meurt de chagrin après quelques jours d’agonie.
Popocatepetl, toujours bien vivant, revient triomphant à Tlaxcala, après avoir remporté toutes les batailles et amassé un trésor de richesses. La nouvelle du funeste destin de la princesse le plonge dans la désolation. Désemparé, il prend la résolution d’ériger en son honneur un mausolée colossal. Avec l’assistance de milliers de travailleurs, il entasse des rochers formant un monticule volcanique, symbole d’une “femme endormie”.
Le courageux Popocatepetl enlace le corps inerte d’Ixtaccihuatl, l’emmenant doucement au sommet de cette tombe de pierre. Il se repose à ses côtés, cherchant à veiller éternellement sur son amour perdu. Les dieux, touchés par cette profonde tristesse, les recouvrent délicatement de neige et changent le valeureux guerrier en un second mont nommé “la montagne fumante”.
La légende rapporte que chaque fois que le guerrier Popocatepetl se souvient de son amour dévastateur pour la princesse Ixtaccihuatl, son cœur s’embrase, rempli d’une flamme vive et inextinguible. C’est pour cette raison que le volcan continue à expulser sa fumée blanche, même aujourd’hui.
Les récits légendaires et mythiques sont profondément ancrés dans le panorama culturel mexicain. Ces sagas orales, traversant les âges, cristallisent non seulement les valeurs et les croyances d’une société, mais posent également un regard sur la perception de la vie et de la mort, du masculin et du féminin, ainsi que de la morale sculptée par l’histoire d’un peuple.