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Fake News & Climat : le débat

Le 17 septembre 2019 a eu lieu dans le grand auditorium du campus Pierre et Marie Curie le débat sur les fake news et le climat, organisé par Sorbonne Université et le journal Le 1. Etaient présents Eric Fottorino, co-fondateur du 1, Emmanuel Vincent, docteur en océanographie et climat, fondateur de Climate Feedback, Valérie Jeanne-Perrier, enseignante au CELSA-Sorbonne Université et sociologue des médias et des organisations, Sébastien Payan, enseignant-chercheur spécialiste de la pollution, directeur de la licence de Physique, ainsi que Théophile Bagur, doctorant en sociologie et affilié au laboratoire GEMASS.

Depuis plus de 50 ans, les scientifiques alertent la sphère publique internationale de l’urgence climatique. Pourtant, malgré le grand émoi qui s’empare de nos sociétés, l’inaction règne et les fake news deviennent systématiques, partagées par des médias traditionnels et les réseaux sociaux. L’accès à une information fiable est donc devenu un enjeu majeur auquel doivent répondre la communauté scientifique et les journalistes.

Définition et types de fake news

Les fake news sont des informations fallacieuses ou mensongères. Elles ont pour objectif de manipuler le public, y compris des dirigeants, et peuvent être émises par différentes personnes ou instances (individus, médias, entreprises, Etats ou organisations). 

Le mot fake news est en fait un mot valise. Il regroupe plusieurs procédés ou volontés :

  • Crier aux fake news permet de disqualifier la crédibilité de l’interlocuteur ou du média, l’exemple le plus marquant sont les utilisations du mot “fake news” par Donald Trump.
  • fake news peut aussi être un procédé qui tente de cacher ou de réinterpréter une information, un contexte. Il sert à manipuler l’opinion. Par exemple, le fait de minimiser le traitement médiatique de manifestants écologistes pacifiques victimes de violences étatiques à Paris.
  • Les fake news peuvent aussi être délibérément fautives. L’exemple d’actualité est la négation du danger à court et long-terme provoqué par l’explosion de l’usine Lubrizol classée SEVESO haut à Rouen en septembre 2019.
  • Une fake news peut aussi être un procédé consistant à cadrer un fait de manière réductrice. Par exemple, parler du changement climatique tout en prônant le développement durable, sans remettre en question la croissance et le productivisme.

Les climatosceptiques remettent en cause l’existence, les causes et les conséquences du changement climatique. S’ils sont accusés de diffuser des fake news, ils continuent d’imprégner le débat public (médias, politique, éducation) sur le traitement de cette crise écologique. En 15 ans, les climatosceptiques ont été deux fois plus souvent représentés dans les médias que les climatologues.

Comment en arrive-t-on là ?

Aujourd’hui en France, 36% de la génération des 18-24 ans est climatosceptique.
Les fake news sont néfastes et constituent un enjeu pour les médias, la démocratie et l’esprit critique, en cela qu’elles facilitent la diffusion d’idéologies radicales et extrémistes. Comment en arrive-t-on à la propagation de fake news relatives à l’environnement ?

Plusieurs causes expliquent cela :

  • L’accélération du temps médiatique. L’information est devenue du spectacle. Les journalistes sont soumis à une production rapide d’informations. La vérification n’est plus un des points cardinaux de leurs métiers, le but étant de rapporter de l’argent rapidement.
  • L’usage social d’internet : les réseaux sociaux sont une alternative pratique, ouverte et gratuite en opposition aux médias traditionnels. L’information y est partagée très rapidement. On assiste à un élargissement des formes du débat public qui contourne les garde-fous traditionnels.
  • Une tendance à vouloir expliquer simplement des mécanismes complexes. Les faits sont simplifiés et ainsi des approximations peuvent apparaître, faisant le jeu des climatosceptiques dans le débat public. S’informer fatigue, la volonté d’aller vers ou de lire des informations complexes n’est pas quelque chose de commun.
  • Une faible connaissance de la démarche scientifique en France. Un fait scientifique se construit comme un puzzle. Quelle est l’approche utilisée ? Quel est le parcours d’un article scientifique avant sa publication finale ? Qu’est ce qu’une incertitude ? Il restera toujours une part d’incertitude dans un fait scientifique, douter fait partie de l’éthique scientifique. Cela permet notamment aux climatosceptiques de s’engouffrer dans cet espace, même minime, pour faire douter le grand public.
  • Une faible culture scientifique en France. Si les sciences sont considérées comme « nobles » en France, la majorité de la population est peu savante en la matière et a un regard distancé. C’est notamment le cas chez les décideurs, ce qui est paradoxal car les grandes évolutions de nos sociétés sont scientifiques (santé, informatique…). Au vu de la complexité de la science du climat, cette lacune ne permet pas de saisir la dimension systémique, globale et interdépendante de la crise écologique, que cela concerne l’émetteur (médias, politiciens) ou le récepteur (citoyens, associations).
  • Des intérêts économiques : comme la crise environnementale remet en cause le système capitaliste et productiviste, des conflits d’intérêts émergent. Ainsi, les lobbies (automobile, pétrole, chimie, agro-industrie) tentent par des stratégies douteuses de faire taire le discours écologique en s’emparant des codes de l’information scientifique pour insinuer le doute dans les esprits. Ils dissimulent les fake news, les rendent beaucoup moins repérables (subventions de recherches pour retarder la vérité, faux articles rédigés par des chercheurs peu  éthiques qui sont payés par des lobbies et des industriels, etc).
  • Des intérêts politiques : à partir du moment où l’alerte scientifique sur la crise écologique implique la responsabilité de différents acteurs, des enjeux de pouvoir émergent. Prenons l’exemple de la gestion des incendies en Amazonie où Bolsonaro tente de servir les intérêts d’une minorité par le nationalisme. Il critique le souhait d’intervention de l’Occident sur l’Amazonie en l’assimilant au rapport de domination entre les pays du Nord et du Sud. Il parle de colonialisme. Son analyse est réductrice car il délaisse les interdépendances mondiales et les inégalités au sein même du Brésil qu’engendre la déforestation de l’Amazonie (dont les autochtones notamment).
  • Un levier juridique trop lent : la prolifération des fake news va de pair avec un levier juridique  qui est inefficace. Les temps de lancement d’une procédure et de verdict sont trop longs, surtout face à une accélération du temps médiatique.

Comment y faire face ?

Face à ce fléau médiatique qui menace la démocratie, que peut-on faire ?

Tout d’abord, il est primordial de vérifier les sources et se fier davantage aux sites institutionnels (CNRS, Institut océanographique, CNES, IPBES, NASA). On peut parfois se sentir démuni.e. face au trop plein d’informations, d’où l’importance de multiplier les sources de confiance en s’entourant d’experts du domaine via des conférences-débats, des ouvrages ou des supports vidéos (exemples : climatologue, écologue, océanographe).
Concernant les plateformes où sont partagées les fake news (les réseaux sociaux notamment), il faudrait pouvoir mettre en cause leur responsabilité propre. La censure n’est pas la solution, mais les algorithmes de ces plateformes sont à revoir.

Une autre stratégie pour contrer les fake news environnementales est d’améliorer notre capacité critique face à l’information. Pour cela, il est nécessaire de connaître des stratégies de la désinformation. L’ouvrage Le montage, de Vladimir Volkov met en avant 12 recettes pour manipuler l’information, telles que le font les fake news. L’auteur cite par exemple la tactique de la généralisation (prendre le comportement de la personne incriminée et le monter en généralité pour toucher l’ensemble des publics) ou encore celle de la polémique.

Enfin, pour contrer la faible culture scientifique en France, il est important de former les scientifiques aux techniques de communication (éloquence, diffusion de l’information) de manière à les rendre plus aptes à parler de leur travail au sein du débat public. Inversement, les journalistes doivent être formés sur la démarche scientifique en tant que telle. De plus, les fidéliser à un thème particulier est important, pour qu’ils puissent créer leur réseau et développer une certaine expertise.
Les scientifiques quant à eux doivent faire l’effort de fournir un réel carnet d’adresse aux journalistes.
Autre constat : les journalistes et les scientifiques doivent apprendre à s’emparer des outils peu traditionnels d’information, notamment les plateformes comme Youtube, pour faire entendre leur travail et leur voix.

Le site Climate Feedback créé par Emmanuel Vincent est une des réponses trouvées. Sur ce site, des journalistes peuvent demander directement à des scientifiques d’analyser une information pour faire ressortir les fake news. Des articles destinés au grand public sont ainsi corrigés et des fake news moins partagées.
C’est une bonne coopération entre journalistes, scientifiques et un bon usage de plateformes !

Olwen Falhun et Aymée Nakasato

Olwen Falhun

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