Enfiler un maillot et fouler les terrains chaque week-end est le quotidien de Marjorie Monceaux, Alwena Siutaula et Léa Kayabalian. Rencontre avec trois joueuses de rugby qui nous livrent leurs expériences de sportives.
Quel est votre parcours sportif ?
Marjorie : J’ai débuté le rugby en 2007 avant la Coupe du monde en France. Je ne fais pas partie de la vague post-compétition. J’ai commencé car j’avais reçu un flyer dans ma boîte aux lettres et comme ma famille est dans l’univers du rugby, je me suis lancée. J’ai débuté le rugby à Chambéry, puis je suis passée par Grenoble. Aujourd’hui, je joue au SMUC, à Marseille. Je suis talonneuse, même si j’ai pas mal alterné avec le poste de demi de mêlée. J’ai été championne de France UNSS au lycée, vice-championne de France Elite à 10 en universitaire et j’ai remporté un titre de championne de France à 7 avec Grenoble.
Alwena : J’ai commencé par le basket que j’ai pratiqué pendant 6 ans. J’ai débuté le rugby en 2015 avec l’UNSS, puis au club de Vitré avant d’aller jouer avec les féminines du Stade Rennais en 2016. J’ai débuté en cadette, puis en Fédérale 1. Aujourd’hui, je joue avec l’effectif d’Élite 1 (première division, ndlr) en tant que troisième ligne, et je fais quelques piges en deuxième ligne.
Léa : J’ai commencé le rugby à 8 ans à Unieux dans la Loire, avec les garçons avant de jouer avec les filles. Quand je suis arrivée en sénior, il n’y avait pas de section féminine dans mon club. Avec les mamans et les femmes de joueurs, une section féminine s’est lancée. C’est comme ça que j’ai pu continuer dans mon club formateur, celui le plus proche dans ma catégorie était à 45 minutes de route. Je suis partie faire mes études à Lyon, où je joue au LOU depuis cinq ans. Dès mon arrivée, nous avons été championnes de France. Je joue à l’aile depuis deux saisons, alors que cela faisait 17 ans que j’évoluais au poste de demi de mêlée.
Comment associez-vous vie professionnelle, d’étudiante et de joueuse ?
Marjorie : Je m’entraîne deux fois par semaine. Le rythme n’a plus rien à voir avec celui que j’ai connu. A Grenoble, je m’entrainais tous les jours avec des études prenantes. Je courais à droite et à gauche. Je n’ai pas eu le choix. J’ai aussi dû prendre un job étudiant et faire un choix qui n’a pas été celui du rugby. Maintenant, les entraînements sont en fonction des disponibilités : la seule obligation est celle des deux jours par semaine avec deux heures de terrain. Tout cela demande de l’organisation. Tout doit être fait pour ne pas perdre de temps, il faut anticiper et tout préparer pour le lendemain.
Alwena : A la fac, je jonglais entre les cours de STAPS, les entraînements universitaires et un job étudiant. Je risquais de ne pas pouvoir jouer le week-end à cause de ce job. Maintenant que j’ai un salaire plus stable, c’est plus facile qu’il y a quelques années. Pour tout concilier, il faut s’organiser, sinon c’est injouable. Il faut essayer de trouver un rythme. Je m’entraîne uniquement sur terrain, sans préparation physique, c’est difficile. Je n’ai pas toujours le temps pour une séance de musculation à la pause déjeuner. C’est le travail qui prime. Mon heure de musculation, c’est mon heure de route.
Léa : J’ai eu la chance d’arriver plus tard à haut niveau et donc d’avoir un salaire avec mes alternances, cela m’a aidé : ni besoin de demander de l’aide, ni d’avoir un job étudiant. Le rythme est toutefois compliqué, je n’avais pas la possibilité de louper des cours ou de finir plus tôt. Je travaille dans l’événementiel, j’arrête le rugby à certaines occasions. La difficulté est de concilier les deux. Tu es tout le temps en train de courir. Tu ne peux pas te poser pour des choses de la vie quotidienne. Tout cela peut avoir de réels problèmes pour l’avenir. Au LOU, il y a une réflexion : comment mieux s’entraîner ? Pour les étudiantes, il y a un accompagnement de l’emploi du temps, mais quid quand tu travailles ? On demande aux femmes de faire un 80% avec une prise en charge des 20% restants par le club. Dans le secteur privé c’est impossible d’être embauchée à ce rythme.
Alwena
Si tu sais que tu peux potentiellement vivre du rugby, tu donnes tout pour. Sinon, tu deviens carriériste car tu joues ton avenir professionnel avant le rugby.

Quels enjeux et difficultés rencontrez-vous au quotidien dans votre pratique du rugby ?
Marjorie : Être dans une association où il y a une section masculine professionnelle permet d’accéder à des infrastructures de niveau supérieur. C’est tout autre chose que de s’entraîner dans la salle municipale ou derrière les poteaux en attendant que les hommes terminent leur séance. Mais même avec un accès à de bonnes structures sportives, nous restons derrière : les créneaux ne sont pas les meilleurs. Il faut comprendre que le rugby n’est pas notre activité principale, on s’entraîne quand il fait froid avec des effectifs parfois réduits. On arrive toutes à un moment donné à tirer sur la corde pour les entraînements ou les matchs. Si nous ramenons des victoires, cela donne une image positive. On peut montrer aux hommes que nous sommes capables de gagner, et là on voit leur intérêt. Il y a d’autres enjeux à prendre en compte et cela impacte directement notre choix de club, parfois en fonction de notre avenir professionnel, plus important que le rugby.
Alwena : Je travaille à Nantes, les déplacements sont un enjeu avec plus de 100 kms pour chaque entraînement et match. C’est un choix de vie mais je peux compter sur le club pour m’épauler. Aujourd’hui, les joueuses sont mieux suivies sur des secteurs comme le scolaire et la santé. L’accompagnement est plus poussé et non négligeable. L’effectif est aussi un enjeu : en deux ans, deux clubs d’Elite 1 ont été forcés d’abandonner, à cause, entre autres, d’un problème d’effectif. L’attractivité peut également être un enjeu en termes de spectateurs ou même de partenariats. Il peut être parfois plus compliqué de ne pas être rattaché à un club masculin, mais c’est aussi une chance d’évoluer dans un club 100% féminin : en Bretagne, nous sommes le seul club à jouer en Elite 1, c’est très important.
Léa : Il y a eu quelques changements depuis mon arrivée à haut niveau. Il y avait peu d’accompagnement, notamment scolaire et médical. Aujourd’hui, les clubs ont plus de moyens et de structures. Dans le sport, l’égalité homme femme n’a jamais été autant à la mode. Tout le monde en parle : cela donne plus de visibilité, sans meilleures conditions, mais il faut surfer sur cet effet. Au LOU, nous sommes une association différente de la section professionnelle masculine. Mais les pros et les amateurs voient un intérêt dans notre équipe alors qu’avant ce n’était pas le cas. Maintenant, on voit le potentiel, même si pour le moment les filles ne rapportent pas d’argent. Nous ne connaissons pas la chance d’être dans une équipe 100% féminine, sans concurrence avec les hommes. Aussi, les clubs ont besoin d’attirer : il y a de la concurrence, le recrutement peut être compliqué s’ils ne se démarquent pas. Avant, on jouait à
côté de notre fac, maintenant on regarde où est le club avant de faire nos études. C’était inimaginable à notre époque. Cela aura tendance à s’accroître avec l’entrée dans le système de l’offre et de la demande. Le recrutement est très important. Les parents jouent aussi un rôle, ils ne pensent pas au club, mais au niveau d’aide financière offert. Une fois que tu peux faire tes choix, tu prends le prestige car tu as envie de gagner des titres. Il y a un train à prendre pour les clubs qui se structurent. Il faut qu’ils mettent les moyens : certains clubs d’Elite 2 sont plus avancés que ceux d’Elite 1.
Marjorie
Il y a quelques années, des clubs professionnels ont décidé d’avoir un club féminin. Maintenant, c’est devenu une vitrine. On est passé d’une obligation à une réelle envie.

Les changements de format de championnat sont récurrents. Quel est votre ressenti sur ces modifications ?
Marjorie : En Fédérale, il y a des changements constamment. Nous sommes passés de 8 à 3 montées. Il faut serrer les dents. La charge de niveau de préparation commence à s’intensifier pour devoir gagner si on veut monter. C’est difficile quand c’est une équipe amatrice qui a des objectifs, même en Fédérale 2. Il faut que tout le monde joue le jeu : il y a un écart entre celles qui jouent pour le plaisir et celles qui jouent pour la montée.
Alwena : C’est idem à Rennes. L’effectif n’est pas réellement prêt, mais on s’habitue, surtout si on donne l’opportunité à des jeunes de briller. On est joueuses amatrices, on doit assurer derrière, ce n’est pas toujours facile.
Léa : Cela a beaucoup d’impacts, cela change chaque année. D’abord, sur la santé : le format en Elite 1 impose un rythme saccadé entre des périodes où tu joues beaucoup et d’autres pas du tout. Il y a deux poules de six équipes et on joue la Coupe de France, championnat à X pour “occuper” pendant les périodes de matchs internationaux avec des poules différentes. Si on poursuivait le championnat, il n’y aurait pas de problème car on aime le rugby et cela permettrait à certaines de jouer. Suite à un sondage de Provale auprès des joueuses, les résultats ont montré que nous étions pour les doublons. Cette consultation n’a servi à rien car la FFR reste sur le format sans doublons. Cette saison, on a alterné entre Coupe de France – championnat – Coupe de France – championnat – Coupe de France – championnat. C’est illisible pour ceux qui suivent les féminines, et encore plus pour ceux qui ne s’y intéressent pas. Le
championnat perd de son attractivité et peu sont intéressés à nous suivre. Même pour les médias c’est compliqué.
Les résultats des équipes de France féminines sont positifs. Quels impacts ont-ils sur votre pratique ?
Marjorie : Je suis de près les équipes de France féminines, c’est chouette de les suivre. C’est une vitrine, même quand le rugby masculin a été au plus bas. Nous faisons désormais partie d’une vitrine globale du rugby français. Il y a un vrai intérêt international, les gens donnent plus de place au rugby féminin. L’équipe de France prend le bon train. Il y a pas mal de jeunes aussi, il y a de nouvelles forces qui arrivent.
Alwena : Les résultats sont positifs, et très encourageants comme on a pu le voir face à de belles équipes. Une nouvelle génération commence à arriver et de jeunes joueuses intègrent le groupe. C’est assez sympa de pouvoir encourager les coéquipières sélectionnées, tu ressens un sentiment de fierté !
Léa : Pour moi, la France ne prend pas le bon train, car elle mise tout sur l’équipe de France sans prendre en compte le dessous. Il y a beaucoup de moyens qui sont superficiels. Il n’y a pas un vivier conséquent de bonnes joueuses pour augmenter le niveau de l’équipe de France. En Premiership, le niveau est meilleur car la fédération a mis les moyens avec un cahier des charges pour accompagner les joueuses et les payer. Le championnat est attractif, notamment pour la télé. Il y a même un naming de championnat. C’est la base d’une sélection nationale performante. En France, il faut une réflexion sur une restructuration en profondeur pour atteindre un meilleur niveau. On a l’impression que rien n’est fait.
Léa
Aujourd’hui, nos internationales jouent dans un championnat “mauvais”, différent de l’Angleterre. Il n’y a pas assez de progrès chaque week-end. Si le niveau de l’Élite 1 est bon, l’équipe de France sera performante.

Quel est votre plus beau souvenir en tant que joueuse ?
Marjorie : Mes deux finales de championnat de France remportées avec deux équipes différentes. C’était serré jusqu’au bout. Finalement, nous avons tenu en défense pendant deux minutes pour remporter le titre. C’était une délivrance au coup de sifflet final. J’en pouvais plus physiquement, mais j’ai tenu. C’était le début d’une belle série de titres pour Grenoble en 2018. Il y avait une très belle ambiance. On a retourné les rues de Grenoble. Aussi, les tournois universitaires sont toujours de bons souvenirs, ils sont vraiment incroyables.
Alwena : Ma première feuille de match en Elite 1 (Top 8 à l’époque), à 18 ans, contre Bobigny au Stade Vélodrome. Je devais rentrer pour les cinq dernières minutes. Finalement, une deuxième ligne se blesse au bout de cinq minutes de jeu. Je n’étais pas prête à entrer si tôt. Je rentre et j’ai finalement fait les 75 dernières minutes. En 2022, il y a aussi eu le maintien contre le Stade Français avec une victoire en fin de match. C’était un soulagement pour le club et pour les joueuses, cela venait récompenser tous les efforts faits sur l’année.
Léa : La finale de championnat d’Elite 2. C’était incroyable. La finale avait lieu à Tarbes, loin de Lyon, mais mes proches avaient fait le déplacement. Sur la saison, nous avons roulé sur tout le monde, mais il y avait du suspense avec les finales que nous avons remportées ! Je souhaite à tout le monde de gagner un titre de champion de France, c’est incroyable !
Trois mots pour décrire le rugby ?
Marjorie : Ambiance car c’est unique. Sacrifices financiers, physiques et psychologiques. Émotions, car on peut tout traverser avec le rugby, ce sont les montagnes russes.
Alwena : Émotions, car ce sont des souvenirs incroyables. Passion, car tu ne peux pas passer autant de temps si tu n’aimes pas le rugby. Potentiel, il y a plein de choses à développer.
Léa : Plaisir, car il faut en avoir pour jouer au rugby. Compétitivité, car tant que je performe je continue. Amitié, car ce sont aussi les copines qui te donnent envie de t’entraîner.
Stéphanie Millet
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