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L’amour sans philosopher, c’est comme le café : très vite passé ! #3

Dans le second épisode de cette série mêlant philosophie et arts en tout genre, On’ proposait de s’intéresser au poids que la linguistique peut avoir dans notre manière d’apprécier l’amour et de le vivre. Cette semaine, on poursuit la réflexion en s’interrogeant sur l’impact du temps sur les relations amoureuses. Comme le disait Antoine de Saint-Exupéry, « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction ».


Si l’approche sémantique esquissée dans l’article précédent donne des clés de compréhension et permet d’appréhender la diversité des comportements amoureux par le biais de la linguistique, cette analyse ne donne qu’un des multiples visages de l’amour. Peut-être que l’on ne naît pas amoureux mais qu’on le devient. Peut-être que l’âme sœur est issue d’une rencontre contingente et située, qui aurait pu être tout autre, mais qui avec le temps devient une nécessité. Ben Mazué dans « 10 ans de nous » décrit la routine de son couple dans laquelle il tire sa force quotidienne. C’est ce partage d’émotions, de souvenirs et d’évènements qui fait de la personne avec laquelle nous partageons notre vie un être unique, et ce bien plus que la personne en elle-même. En effet, on ne quitte que rarement la personne avec qui l’on partage sa vie quand celle-ci prend du poids alors que l’on aimait sa minceur, ou lorsque celle-ci prend de l’âge alors que l’on est tombé amoureux de sa jeunesse.


Les « Jeunes demoiselles qui recherchent un mec mortel » ou les hommes recherchant « Une femme like you » : la fin de des âmes sœurs ?

L’approche de Robert Nozick, éminent penseur de l’anarchisme, permet de donner une grille explicative de l’amour comme construction d’une irremplaçabilité, dans laquelle le contingent devient nécessaire. Pour celui-ci, l’amour est un concept historique puisque nous aurions tous pu choisir de fixer notre amour sur n’importe quel objet, substituable ou remplaçable, dans un ensemble de possibilités qui présentent des propriétés similaires (beauté, intelligence, douceur, humour, etc.). Diam’s dans Jeune demoiselle dresse le portrait physique et mental de l’homme de ses rêves. Ce portrait laisse place à de nombreux candidats qu’elle invite même à contacter par mail. En cela, Diam’s questionne l’idée même d’âme sœur que Théophile Gauthier nous invitait à attendre, puisqu’elle était l’œuvre du destin, une providence amoureuse nécessaire. Avant Diam’s, Jacques Dutronc faisait de même dans son J’aime les filles, où il invitait les filles qui remplissaient ses critères à lui téléphoner. En cela, nous aurions pu tirer à pile ou face l’être aimé, et c’est d’ailleurs sur cette idée que les applications de rencontres, de plus en plus nombreuses et précises, se basent.

De surcroît, loin de l’idée romantisée d’âme sœur, l’effet de simple exposition décrit par Robert Zajonc en 1968, est un type de biais cognitif qui se caractérise par une augmentation de la probabilité d’avoir un sentiment positif envers quelqu’un ou quelque chose par la simple exposition répétée à cette personne ou cet objet. C’est cela qui pourrait expliquer que de nombreux couples se forment lors des années d’études ou au travail, appuyant ainsi la notion de contingence de l’être aimé en ce qu’il aurait une essence propre.


« Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai » : le couple comme construction historique

Si le choix amoureux se base sur l’énonciation de certains critères physiques, sociaux et moraux, pourquoi l’amour ne s’éteint-il pas pour autant lorsque les caractéristiques de l’être aimé se trouvent altérées ? De la même manière, pourquoi ne quitte-t-on que rarement l’être aimé pour un autre objet amoureux qui dispose de propriétés supérieures à la personne aimée ? Pour Nozick, cela s’explique par le fait qu’une fois « en couple », une modification d’ordre ontologique s’effectue et une histoire commune s’installe, créatrice d’un « nous » que Fabrice Luchini, dans une interview menée par Mireille Dumas, illustre en soulignant la dimension négative de ce « nous » (« nous allons en vacances », etc.). Si ce « nous » est décrit avec un certain dégout par Fabrice Luchini ou par Claude François dans Comme d’habitude où même s’embrasser et faire l’amour n’est plus qu’une affaire routinière, il peut au contraire être synonyme d’une sorte d’ataraxie sentimentale, un par-delà l’amour bien supérieur à toute autre forme de sentiment. Celui que chante Daniel Guichard dans La tendresse où la présence de l’être aimé avec qui l’on a passé sa vie transcende tous les problèmes du quotidien et où la parole n’a même plus raison d’être, puisque les yeux des amoureux se comprennent. Michel Berger, dans Lumière du jour, poursuit cette évocation en faisant de l’être aimé sa lumière et appelle les souvenirs passés à éclairer son futur.


Un « nous » historique insatisfaisant

Cette théorie n’explique néanmoins jamais le coup de foudre, comme le chante Lonepsi dans La fille du bus, ni la disparition brutale de l’amour dont le cri de Christophe dans Je ne t’aime plus est un écho. De manière similaire, elle bute et ne permet pas d’expliquer devant les tristes couleurs que peuvent parfois prendre l’amour comme la violence ou les supplications pour maintenir la relation comme le chante The Police dans Every Breath You Take.

Benjamin Delmont

Benjamin Delmont

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