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Chili : une révolte, un nouveau président, et pourtant…

En octobre 2019, le Chili est le théâtre d’un soulèvement populaire inédit. Si la hausse du prix du ticket de métro à Santiago, la capitale, en a été l’élément déclencheur, la colère grondait dans le pays depuis longtemps. Deux ans et une pandémie plus tard, l’élection de Gabriel Boric fait renaître l’espoir dans le pays, même si le processus d’écriture d’une nouvelle Constitution s’avère long et laborieux…

Adolescents, jeunes adultes, retraités… Ils se tiennent tous les mains, les yeux brillants d’espoir. Mon pays imaginaire, le film documentaire de Patricio Guzmán sorti en octobre dernier, s’achève sur le puissant discours de Gabriel Boric, tout juste désigné, par les urnes, président du Chili. Élu à 36 ans, il est le plus jeune président à avoir jamais exercé cette fonction dans le pays. Pleine d’espoir, cette scène donne à voir des centaines de Chiliens acclamant celui qui battait le pavé en première ligne des manifestations historiques qui ont secoué le pays à l’automne 2019. Alors oui, si on connaît déjà la suite des hostilités, on regarde cette scène finale avec un peu moins d’enthousiasme. Mais ce moment est pourtant synonyme d’un virage démocratique pour ce pays d’Amérique latine de 4.300 kilomètres de long.

Reprenons. Quelques mois avant le début de la pandémie de Covid-19, l’heure est à la gronde au Chili. Les rues de Santiago fourmillent de manifestants que la hausse du prix du ticket de métro a fait bondir. Les images sont puissantes et les revendications sont nombreuses. Les Chiliens clament le changement dans ce pays où les inégalités se creusent et structurent la géographie. Les dix-sept années de dictature de Pinochet n’y étant pas pour rien, puisqu’elles ont été synonymes de répression mais aussi d’ultralibéralisme et de fracture sociale. Cette annonce symbolique – puisqu’elle touche au quotidien le plus élémentaire des citoyens – et loin d’être isolée, fait tache d’huile. C’est la démission du président, Sebastian Piñera, que demande le peuple.

Les manifestations durent plus de deux mois et la répression du gouvernement est violente : on dénombre 26 morts et plusieurs milliers de personnes blessées et arrêtées. Le 19 décembre 2019, ce mouvement débouche sur un premier espoir : les députés chiliens votent un « Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution ». Ce vote ouvre la voie à un projet de rénovation constitutionnelle, un changement nécessaire pour de nombreux Chiliens car la Constitution en vigueur est héritée de l’ère Pinochet, une dictature militaire qui a perduré jusqu’en 1990. Un an plus tard, à l’automne 2020, se tient le référendum permettant aux Chiliens de se prononcer sur la question. Ni une ni deux, le projet est approuvé par plus de 78% des électeurs et s’appuie sur la création d’une Assemblée paritaire de 155 citoyens élus et chargés de la rédaction d’un nouveau texte.

Gabriel Boric, incarnation de la lutte sociale

C’est pendant que cette Assemblée s’attèle à l’écriture d’un nouveau texte qu’un autre événement vient alimenter l’espoir démocratique du pays et de l’Amérique du Sud toute entière : Gabriel Boric, le candidat issu de la gauche radicale et soutenu par une large coalition de mouvements de gauche (Apruebo Dignidad, ‘‘J’approuve la dignité’’ en français), remporte l’élection présidentielle face au représentant de l’extrême droite José Antonio Kast. Un scrutin à la participation record de 55,6% : du jamais-vu depuis l’instauration du vote volontaire en 2012. Pendant sa campagne, Gabriel Boric déclarait : « Si le Chili a été le berceau du néolibéralisme en Amérique latine, il sera aussi son tombeau ». Établi pendant la dictature, ce modèle a fait du Chili un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE. En 2022, 1 % des Chiliens possédaient 25 % des richesses, selon une agence de l’ONU. Son arrivée au pouvoir est un espoir de renouveau.

Mais le 4 septembre dernier, l’espoir de changement se réduit à peau de chagrin. Appelés à se prononcer sur l’établissement de la toute nouvelle Constitution – le vote y était obligatoire sous peine d’amende -, les Chiliens se rendent aux urnes et la rejettent massivement, à 62%. S’il était prédit par de nombreux observateurs et sondages, son ampleur est un coup violent pour le président Gabriel Boric, qui comprend que le cheminement vers un nouveau texte sera encore long. Il déclare aussitôt : « Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel ».

L’assemblée constituante paritaire, 2022. REUTERS/Ivan Alvarado

L’espoir du changement douché par le « Rechazo »

Nouveaux droits sociaux en matière de santé, d’éducation, de retraite et légalisation totale de l’avortement, ce nouveau projet de Constitution s’emparait aussi des questions de « plurinationalité » avec les peuples indigènes, qui représentent 12% de la population. Des avancées massives dans un pays où la santé, l’enseignement, la retraite, l’énergie relèvent majoritairement du secteur privé. Ce rejet s’explique, selon de nombreux observateurs, par une base de l’électorat chilien réticente à un changement trop radical sans pour autant rejeter l’idée même d’une nouvelle Constitution. Mais les analyses pointent aussi du doigt les industriels, les producteurs de cuivre (le Chili en est le premier producteur mondial), de lithium et les agriculteurs qui se voient menacés par ces changements radicaux.

Après un remaniement de certains membres du gouvernement pour des personnalités jugées plus centristes et moins clivantes, le processus constitutionnel ne demandait qu’à reprendre. Il s’arme cette fois-ci non pas d’une assemblée paritaire mais d’un comité d’experts nommés par le Parlement, accompagné d’un conseil de 50 personnes élues par les citoyens. En janvier 2023, le Congrès a ainsi approuvé une réforme qui ouvre la voie à un deuxième processus rédactionnel. La rupture avec cette constitution héritée de la dictature Pinochet semble encore loin, mais la révolte qu’a entraîné la hausse du prix du titre de transport aura permis au peuple chilien de se réveiller et de prendre conscience de leur capacité collective à réformer leur pays en profondeur. Si le calendrier annoncé par le gouvernement est respecté, les citoyens éliront en mai 2023 les membres de la nouvelle assemblée qui écrira la nouvelle Constitution, avant de voter « pour » ou « contre » cette Constitution en décembre prochain.

Sarah Krakovitch

Source bannière : © Daniel Espinoza

Sarah Krakovitch

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