Au théâtre de l’Athénée, Tiago Rodrigues et Tónan Quito posent une question : quand avons-nous perdu la parole ?

La salle Christian-Bérard de l’Athénée Théâtre, où se joue jusqu’au 17 décembre Entre les lignes, se mérite. Pour l’atteindre, il faut monter pas moins de quatre étages et arpenter un long couloir sinueux. On se retrouve alors dans un petit écrin rouge où un homme barbu, en jogging, nous attend sur scène. La promiscuité du lieu crée une ambiance chaleureuse mais qui interroge : tout de même, on parle de Tiago Rodrigues ! Il y a quelques mois à peine, l’une de ses pièces se jouait à l’Odéon. Aussi convivial soit cet endroit, on se demande pourquoi on ne lui a pas ouvert en grand les portes de la sublime salle à l’italienne du théâtre. Cette question est en fait le moteur de la pièce : Tónan Quito vient nous expliquer comment il se retrouve ici, devant nous, alors qu’il aurait dû jouer un monologue autour de l’Œdipe roi de Sophocle dans la grande salle.
L’envers d’une création

Tónan Quito nous raconte l’histoire d’une attente, celle d’un texte que devait écrire Tiago Rodrigues. Il plante le décor : la création d’une pièce de théâtre comme il en a déjà fait des dizaines avec le metteur en scène. Mais cette fois, c’est différent, le texte n’arrive jamais. Le dramaturge perd la vue, le comédien perd le dramaturge. Il trouve cependant une édition d’Œdipe, venue de la prison de Lisbonne, où un prisonnier parricide a écrit, entre les lignes, une lettre à sa mère. Démarrent alors des allers et retours entre l’histoire d’Œdipe et celle de la création du monologue, entre la fiction et la réalité.
Une complicité qui se crée
« Il pourrait me parler pendant des heures ! » me dit un jeune homme lorsque je lui demande ce qu’il a pensé de la pièce. Je le comprends, c’est exactement l’effet que nous fait le comédien, celui de nous parler.
Pour ça, certes, il utilise des procédés classiques du théâtre contemporain qui veut à tout prix briser le quatrième mur, il nous propose des cafés, nous demande de lire, mais ça va bien au-delà. Il arrive à créer une vraie relation, une complicité presque enfantine avec le public. On se moque ensemble de la figure du dramaturge malade, de ses emportements lyriques.
Les lectures des passages d’Œdipe, puis du texte naissent de la rencontre entre les écritures de Sophocle et du prisonnier, nous font entendre du portugais et lire du français. Les paroles résonnent, et les sons aussi. Ces précieux moments accordent une valeur salvatrice à la parole. Tout au long de la pièce, le comédien se met en scène, il allume et éteint les lumières pour créer une ambiance propice, jouant avec les espaces. Mais, à la fin, une troisième interligne vient s’ajouter. Ce sont des didascalies écrites par Tiago Rodrigues. Il se met alors à grossir le trait, à le parodier. Lorsque la didascalie dit : « sur un ton sarcastique et cruel », Tónan Quito prend une voix de vieille dame. Le régisseur est complice, mais pas assez efficace, alors il se colle lui-même le visage à un néon. La virtuosité de sa performance semble toute naturelle tant on voit chez lui l’amour du jeu, le plaisir qu’il suscite.
La salle, elle, rit. Ce sont des rires francs, des rires de communion. Même lorsque la pièce se termine sur les mots d’Œdipe et de Rodrigues : « Tuez-moi et jetez-moi à la mer. Bien à toi. Pour qu’on ne me voit plus », on reste dans cet état de joie.
Thelma Bergman
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