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La compagnie Kobal’t revient avec un Koltès haletant

Mise en scène par Mathieu Boisliveau, la compagnie Kobal’t interprète Combat de nègre et de chiens au théâtre de la Bastille. Comme dans leur dernière pièce, Hamlet, la compagnie offre ici une prestation dynamique et tragique.


En entrant, le public, dont l’équipe d’On’ fait partie, hésite à aller s’asseoir sur les gradins placés sur scène. L’ouvreur du théâtre de la Bastille se montre rassurant : «  ils ne vous parleront pas ». Nous prenons alors place dans un dispositif tri-frontal. Le metteur en scène, Mathieu Boisliveau, nous fait ainsi participer à l’enfermement des personnages sur un chantier d’Afrique de l’ouest, dirigé par une entreprise française. Notre présence est semblable à celle des sentinelles noires qui montent la garde et qui ont laissé entrer Alboury dans la cité. Celui-ci vient chercher le corps de son « frère », un ouvrier mort par accident, dit-on. En réalité, c’est Cal, un ingénieur qui se rêve philosophe, qui l’a tué. À Horn, le chef de chantier, tente de convaincre Alboury de repartir sans le corps. Léone, tout droit arrivée de Paris pour le rejoindre, fait ses premiers pas dans ce non-lieu, pas vraiment africain, pas tout à fait français.


La langue de Koltès

Lors de la première scène, on tombe dans le piège de Mathieu Boisliveau. Les comédiens qui interprètent Alboury et Horn, Denis Mpunga et Pierre-Stefan Montagnier, épousent si fidèlement la langue de Koltès que le texte ronronne. Horn et Alboury négocient. L’un veut un corps, l’autre veut éviter la prison à son ami. Ils se font des courbettes. On se complaît à écouter un texte qui ne nous bouscule pas. À elle toute seule, la langue semble réussir à pacifier les relations entre les deux hommes, entre les noirs et les blancs. Puis, Thibault Perrenoud, qui interprète Cal, nous arrache à notre passivité. Il débarque sur scène affolé, lui aussi recherche quelque chose. Contrairement à Alboury, il ne tolère aucune attente, aucun compromis. Il veut retrouver Toubab, son chien. Grâce à son jeu nerveux, il emporte avec lui les autres personnages dans une urgence haletante. Les lumières s’assombrissent à mesure que la nuit tombe et que la langue, que l’on croyait civilisatrice, révèle les désirs cachés des personnages, qui oscillent entre volonté d’être aimé et de se venger.

Comme pour équilibrer l’aspect verbeux de la pièce, Mathieu Boisliveau mise sur des images marquantes. Léone pleure la tête plongée dans le sable, puis se lève et se taillade le visage. Ses joues couvertes de sang et le plateau presque plongé dans le noir font prendre une tournure horrifique à la pièce. Mais celle-ci ne s’y enferme pas, les glissements entre scènes de négociation, de déclaration amoureuse et d’agôn se succèdent. Mathieu Boisliveau ne semble pas rechercher l’efficacité de l’identification ou du sentimentalisme. Eux pleurent, nous non. Il fait plutôt naître chez nous un état, une inquiétude qui grandit à mesure que le plateau part à vau-l’eau, que les coups de fusil retentissent et que le feu d’artifice nous éblouit.

Source : Gilles Le Mao (théâtre de la Bastille)

Une enquête 

Koltès le dit lui-même, la pièce « ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale ». La compagnie Kobal’t fait un travail d’équilibriste dans cette pièce qui ne produit pas un discours sur ces questions, et qui ne les instrumentalise pas non plus pour nous toucher. Mathieu Boisliveau dit avoir construit la pièce comme une enquête. Il s’avère que les questions sur la situation – Qu’est-il arrivé à l’ouvrier ? Qui est Alboury ? – sont rapidement évacuées. Ce n’est pas la curiosité qui nous tient en haleine. Cependant, il y a bien une enquête, une étude minutieuse. Lorsque Horn ordonne à Cal d’aller cherche le corps dans les égouts où il l’a jeté, on ne se demande pas s’il va le trouver. Ce qu’on veut savoir, c’est s’il va accepter l’ordre, l’humiliation de se rendre dans les canalisations. La boue noire coule sur scène et on aperçoit Cal sortir la tête du tuyau. Il baigne dans les excréments, reste couché à l’intérieur pendant que Cal, debout, le réprimande. Il se confond en excuses. Plus tard, propre mais pas lavé de l’humiliation, il s’en prendra de nouveau à Léone. Alors que la vie nous donne à voir la violence même, Koltès et la compagnie Kobal’t montrent des trajectoires qui y aboutissent. Ils offrent ainsi la possibilité de l’appréhender, de ne pas être ébahi face à elle. Cette question nous captive, si bien qu’on trouve une certaine satisfaction à participer à ce dispositif qui enferme les personnages.

Thelma Bergman

Source bannière : Gilles Le Mao (théâtre de la Bastille)

Thelma Bergman

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