La saison de football 2022-2023 est très particulière. Interrompue par la Coupe du Monde, qui a lieu du 24 novembre au 18 décembre, elle impose un calendrier intensif qui fait beaucoup réagir, chez les joueurs comme chez les fans. Une nouvelle problématique pour cette édition déjà controversée sur de nombreux plans.
Le Mondial en hiver, un cas inédit
Pour la première fois depuis sa création en 1928 – la première édition a eu lieu en 1930 – la Coupe du Monde de football se déroule aux mois de novembre et décembre. Cette programmation exceptionnelle a pour but d’adapter l’événement aux conditions météorologiques particulières du pays organisateur, le Qatar, où les températures peuvent s’élever au-delà des 45°C en été. Des conditions incompatibles avec l’organisation d’un tel événement sportif. Pour éviter les chaleurs étouffantes de l’été dans l’émirat, la comité exécutif de la Fédération Internationale de Football (FIFA) a donc pris la décision, il y a 7 ans, d’organiser la Coupe du Monde 2022 en hiver. Jérôme Valcke, ancien secrétaire général de la FIFA, explique ainsi ce choix : « Si vous jouez entre le 15 novembre et la fin du mois de décembre, c’est le moment où la météo est la plus favorable, où vous jouez à une température qui est équivalente à celle d’un printemps un peu chaud en Europe, à une température moyenne de 25 degrés. Donc c’est parfait pour jouer au football. »
Un calendrier bouleversé
D’ordinaire, les grands championnats européens se déroulent du mois d’août au mois de mai, de manière à laisser les mois de juin et juillet pour les compétitions internationales. Mais cette année, pour anticiper la période du Mondial durant laquelle les clubs ne joueront pas, toutes les compétitions nationales et européennes ont dû être avancées. Les footballeurs ont ainsi fait leur rentrée dès la mi-juillet 2022, après à peine un mois de vacances pour se reposer de la saison qu’ils venaient d’accomplir. Et dès la reprise, le rythme a été intensif, avec des matchs de championnat presque tous les week-ends, et des matchs européens assez régulièrement en semaine. Pour prendre un exemple français, le Paris-Saint-Germain, qui est engagé dans trois compétitions (Ligue 1, Ligue des Champions, Coupe de France) a disputé 20 matchs depuis le 6 août, soit une moyenne d’un match tous les cinq jours. Kylian Mbappé, attaquant star du club et de l’Équipe de France, a quant à lui participé à 21 rencontres depuis cette date.
Pour les joueurs, un rythme dévastateur
Si le Français a réussi à tenir l’enchaînement de matchs, ce n’est pas le cas de tous les joueurs. Usés physiquement et psychologiquement par ce rythme effréné, ils sont nombreux à avoir connu des pépins physiques plus ou moins sérieux sur ce début d’exercice. La saison dernière, les blessures avaient déjà augmenté de 20% dans les cinq grands championnats européens selon un rapport du courtier en assurances britannique Howden. Et ce chiffre risque d’empirer cette année tant les joueurs sont contraints d’enchaîner les matchs depuis le mois d’août. Une situation que le Français Jules Koundé, défenseur au FC Barcelone, retenu par Didier Deschamps pour disputer le mondial au Qatar, déplore : « Il faudrait réfléchir un peu plus aux joueurs. Il y a beaucoup de matchs. Nous sommes en train de prendre un chemin un peu fou en jouant autant de matchs. Ceux qui sont au sommet ne s’en soucient pas. »
Ainsi, plusieurs joueurs majeurs manqueront à l’appel au début du Mondial le 24 novembre, comme l’Allemand Timo Werner, le Portugais Diogo Jota ou encore le Sénégalais Sadio Mané, deuxième du classement du ballon d’or 2022. Du côté des Bleus, Paul Pogba et N’Golo Kanté sont annoncés forfait depuis plusieurs semaines. Et plus récemment, c’est Christopher Nkunku et Karim Benzema, blessés durant un entraînement de l’Équipe de France, qui ont dû renoncer au Mondial. Pour couronner le tout, le défenseur Lucas Hernandez a été victime d’une déchirure du ligament croisé du genou droit lors du match entre la France et l’Australie (4-1). Il est donc lui aussi forfait pour la suite de la compétition. Un déchirement pour ces sportifs de haut niveau qui travaillent dur depuis de longues années pour représenter leur pays à la Coupe du Monde. Pour éviter ces soucis de blessure à quelques semaines du début de l’événement, certains joueurs ont préféré se préserver et ne pas disputer les matchs avec leur club.

Pour les clubs, une coupure inhabituelle
Ce calendrier particulier est également difficile à gérer pour les clubs, qui ne sont pas habitués à une telle pause en plein milieu de la saison. En effet, aucun match de championnat ni de compétition européenne ne sera disputé durant le Mondial. Une configuration différente des autres sports comme le rugby, où des matchs de championnat se jouent en parallèle des compétitions internationales. Ainsi, chaque année, durant le tournoi des VI Nations qui se déroule aux mois de février et mars, les clubs de Top 14 doivent composer sans leurs joueurs sélectionnés en équipe nationale.
Les clubs de foot n’auront quant à eux pas ce problème, puisqu’ils vont connaître une période d’un mois de pause pendant laquelle ils jongleront entre repos, entraînements collectifs, stages et matchs amicaux. L’objectif sera de ne pas perdre le rythme acquis depuis le début de la saison, tout en reposant les organismes déjà fatigués par l’enchaînement des matchs. Pour les clubs dont des joueurs sont sélectionnés en équipe nationale, la situation sera particulièrement délicate à gérer : comment réintégrer ces joueurs qui n’auront pas bénéficié de la même pause que les autres ? En Angleterre par exemple, le championnat reprend moins d’une semaine après la fin de la Coupe du Monde. Difficile donc pour les managers de savoir s’ils disposeront de leurs joueurs internationaux, qui auront certainement besoin de repos après avoir enchaîné autant de matchs. L’entraîneur de Manchester City, Pep Guardiola, préfère ironiser malgré son inquiétude visible : « Si nos internationaux ne sont pas disponibles, il faudra faire appel aux jeunes de l’académie ou à des membres du staff ! »
Pour laisser leurs joueurs disputer le Mondial, ces clubs recevront une indemnisation de la part de la FIFA, qui leur versera au total 390 millions d’euros. Une somme directement tirée des bénéfices qu’elle réalisera grâce à cette compétition, et qui est un signe de « reconnaissance de la contribution des clubs aux structures du football mondial ».
Pour les supporters, une édition particulière
Habitués à vivre la Coupe du Monde l’été, quand les températures sont agréables et le calendrier moins chargé, les Français reçoivent plutôt mal cette programmation en hiver. Avec des matchs à toutes les heures de la journée en semaine, il sera difficile pour beaucoup d’entre eux de concilier rôle de supporter et obligations professionnelles, à une période de l’année souvent difficile de ce point de vue. Une solution pour cela serait de prendre des vacances durant le Mondial. Mais comme l’explique ce membre de Irrésistibles Français, une association de supporters de l’équipe de France, c’est souvent chose difficile à cette période de l’année : « avoir la certitude d’obtenir des congés entre novembre et décembre, c’est quasiment impossible dans beaucoup d’entreprises. »
Ainsi, en plus d’être moins nombreux devant leurs téléviseurs, les Français seront très peu à se rendre sur les lieux de la compétition. Alors qu’ils étaient 27 000 en Russie en 2018, ils ne seront que 10 000 à faire le déplacement au Qatar cet hiver. Pour pallier cela, le pays hôte a mis en place des groupes de faux supporters habillés aux couleurs des différentes nations – ici la France, l’Allemagne, le Brésil ou encore l’Argentine – qui défilent dans les rues des grandes villes de Doha. Une mise en scène qui vise à masquer le manque de « vrais supporters » sur place.
Si l’on ajoute le contexte général de cette Coupe du Monde qui se fait de plus en plus négatif – entre désastre écologique et bafouement des droits humains – cette édition s’annonce bien moins enthousiasmante que les précédentes. Si bien que le mois dernier, plus de la moitié des Français déclarait ne pas vouloir suivre le Mondial qatari, selon une étude réalisée par Odoxa.
La programmation de la Coupe du Monde de football en hiver semble donc assez mal reçue par les joueurs, les clubs et les supporters. Elle pose des problèmes de calendrier évidents qui risquent de gâcher la fête qu’est censée constituer cet événement. Pourtant, les grandes instances du football mondial semblent satisfaites de cette organisation, si bien qu’elles pourraient être amenées à la reconduire en organisant le Mondial 2030 en hiver dans trois pays différents : l’Arabie saoudite, la Grèce et l’Egypte.
Pierre Bourgeois
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