Grenoble, 1968. Les athlètes se parent de leurs plus belles envies de médailles olympiques d’hiver. Face à eux, des infrastructures sportives de qualité, pourtant devenues un gouffre. Gouffre financier et d’attractivité. Que faire du tremplin ? Comment utiliser la patinoire ? Si les activités de loisirs peuvent combler un delta mineur, l’amortissement financier est plus compliqué. Les médaillés ont écrit l’histoire des Jeux Olympiques, quand les installations sportives ont écrit celle des éléphants blancs. Pour contrecarrer ce chemin tout tracé, il semble que les installations ont trouvé la solution.

La fin du terrain unique
Il est commun qu’une infrastructure sportive soit restreinte à sa simple utilité : un terrain de foot pour le club de la ville, une patinoire pour les entraînements et compétitions de patinage, un gymnase pour le club résident de handball, etc. Face au développement des pratiques sportives et aux coûts grandissants de maintenance, les collectivités ont commencé une certaine mutualisation. Un gymnase accueille les compétitions de volley-ball, de basket-ball, de handball. Les terrains changent de traçage pour laisser la place au rugby ou au football, et se parent d’équipements pour l’athlétisme. La modulabilité des infrastructures sportives n’est donc pas nouvelle, elle prend une direction désormais différente en combinant sport et divertissement. Le terrain unique n’est plus un modèle suivi par les nouveaux gestionnaires des infrastructures. Le sport reste au centre du terrain, la diversification couvre les frais, amortit les investissements, optimise l’utilisation, évite les creux, accroît la notoriété de la structure et fait monter en compétences les équipes techniques.
Accor Arena, ADN modulable
Enceinte programmée pour l’omnisport, l’Accor Arena, anciennement Bercy, est érigée en une salle événementielle où spectacles, concerts et sports se conjuguent à l’unisson pour faire vivre des expériences inoubliables depuis 1984. Elle figure comme pionnière de l’infrastructure “arena” en France en passant des shows de Prince, Stevie Wonder ou encore Johnny Hallyday aux parquets de NBA, bassins aquatiques ou patinoire, voire aux podiums des plus grandes marques pour la Fashion Week parisienne.
La salle est capable d’accueillir toutes sortes de compétitions sportives. Le Rolex Paris Master officie depuis 1986 l’espace. Le Championnat du monde de Hockey en 2017 y a posé ses valises, tout comme le club résident de hockey parisien, Club des Français Volants, depuis 1984. Les sports de glisse trouvent d’ailleurs un écho : Arena on Ice, finale annuelle de Coupe de France de hockey sur glace, Stars sur glace, Trophée Lalique-Bompart. Autre discipline : le basket. La salle a vu passer les plus grandes stars du parquet dont Tony Parker et accueille depuis 2012 la NBA AllStar Game, les tournois de la Fédération Française de Basketball, les Harlem Globetrotters et le retour de la NBA à Paris en 2020. L’accueil perpétré aura eu raison de son succès puisque la salle sera le théâtre des rebonds olympiques et paralympiques de Paris 2024. La salle fait preuve d’une modulabilité singulière : courts de tennis, patinoire et autres playgrounds ont coexisté, sans limite de modulation. Que dire des épreuves équestres avec les finales Longines FEI World CupTM Jumping et Dressage et des spectacles de l’Ecole Royale Andalouse d’art équestre. Sans oublier les championnats du monde de jet-ski et de planche à voile indoor ayant nécessité un bassin artificiel de 71 mètres de long entouré de 30 ventilateurs reproduisant un vent artificiel de 50 km/h. Pour conserver son succès, l’Accor Arena ne cesse de proposer des compétitions sportives diverses en se réinventant afin de conserver une place forte dans le monde de l’événementiel sportif.
Roland Garros, pionnier de la diversification
Tennis, beach-volley, basket, visites guidées et concerts rythment désormais les allées de Roland-Garros qui diversifie ses activités depuis 2018. Et pourtant, Roland-Garros et autres disciplines sportives se côtoient depuis bien plus longtemps. Dès les années 1930, le stade accueille des combats de boxe dont les figures de l’époque Young Perez, Marcel Thil et Émile Pladner s’offrent les honneurs d’enfiler leurs gants sur le court central. La diversification de l’espace sportif est bel et bien en marche. Les représentations hors tennis se multiplient, notamment avec du basketball : finale du championnat de France en 1947, rencontre du Paris Basket face à Monaco en 2022. Autre configuration quand le sable rencontre la terre battue : le Beach Pro Tour a pris possession des lieux en 2022. Enfin, le stade se structure en un lieu de concert comme lors de la 40e édition de la Fête de la Musique en 2021.
Objectif ? Développer l’activité événementielle pour que le stade devienne un « stade à l’année » en changeant de configuration et en développant l’offre d’événements dans l’optique de rembourser les investissements réalisés en vertus du tournoi. « On est parti du constat que c’était dommage d’avoir un tel joyau qui a coûté 400 millions d’euros et qui ne servait que trois semaines dans l’année » explique Stéphane Morel, directeur du pôle marketing et développement économique de la FFT. Le tournoi reste prioritaire et a permis au site de Roland Garros d’acquérir en notoriété. Nombreux sont ceux qui se parent de l’envie de jouer sur le Central. Cercle vertueux ? Notoriété acquise, toit permettant d’étoffer l’offre, nouvelles programmations sportives et culturelles, Roland Garros semble avoir pris à revers ce que les infrastructures avec un tournoi annuel peinent à développer : un site modulable, pour ne jamais finir en éléphant blanc. Se réinventer pour survivre. Prochains challenges : boxe et volley assis pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.
Le Stade de France, à l’ère des arena
Challenge également pour le Stade de France, inauguré en 1998, qui sans club résident, a dû trouver les ressources afin d’amortir les coûts et valoriser le site. L’infrastructure a toutefois signé un contrat qui l’a liée aux Fédérations Nationales de football et rugby avec un nombre minimal de matchs de leur équipe nationale respective à effectuer dans l’antre des Champions du monde 1998. Depuis cette date, l’infrastructure dionysienne n’a cessé d’accueillir les plus grands événements sportifs internationaux : Coupe du Monde de Football (1998), Championnats du Monde d’athlétisme (2003), Coupe du Monde de rugby (2007), finale européenne de rugby (2010), trois finales de Champions League (2000, 2006, 2022), Euro (2016) et prochainement Coupe du Monde de Rugby 2023 et Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. L’infrastructure sportive utilise ainsi son outil principal, le terrain, démontrant l’adaptabilité dont elle fait preuve en accueillant le trophée Andros, nécessitant une configuration bien différente où la neige prend place à sept reprises entre 1999 et 2011.

En parallèle, le stade a trouvé une alternative à son calendrier rythmé par les grands événements sportifs : se transformer en scène de spectacle. A l’affiche : Rolling Stones, Madonna, Johnny Hallyday, Muse, U2, Céline Dion, Indochine, Black Eyed Peas, Coldplay et bien d’autres artistes se sont succédés. A cela s’ajoutent les représentations des plus grands classiques : Requiem de Verdi, Carmen, Turrando, Nabucco et Aïda. L’opéra s’invite là où les sportifs rêvent de fouler la pelouse. Au total, ce sont près de 500 événements que le Stade de France a accueilli. Malgré le manque de toit, l’infrastructure sportive a su se réinventer pour diversifier son offre face aux grandes arena qui poussent en France. Face à la concurrence et aux impératifs financiers, dans l’espoir de ne pas finir en éléphants blancs, le Stade de France a pris les devants en offrant une offre hors sportive. Car, qu’en sera-t-il une fois le terme du contrat du Consortium ? Éléphant blanc ? Club résident ? Transformation en arena ? Le Stade de France est sûrement prêt pour sa mutation, il l’a du moins anticipé.
Stade Pierre Mauroy, un Euro pour devenir modulable
Anticiper, c’est le projet du stade de Lille qui s’est bâti une infrastructure sportive modulable. La rénovation du stade Pierre Mauroy s’ancre dans le projet global de rénovation des stades pour l’Euro 2016. Exit le simple terrain de football, place à une enceinte modulable, transformable au gré des envies et événements. Ainsi, se bousculent football, rugby, tennis, handball, hockey sur gazon, boxe et show mécanique. Se jouent alors les matchs de football du club résident du LOSC, de rugby du Racing 92 (délocalisation), des matchs de phases finales de championnat ou des Barbarians. Temple également des éditions des Coupe Davis 2014, 2017 et 2018 et des sports collectifs avec les championnats du monde de handball 2017, les finales de la Nation League de volleyball, l’Euro de basketball 2015, le Glory 22 (kickboxing). Théâtre alors de grands événements sportifs impactant la structure initiale du stade en nécessitant une configuration différente.
Pour continuer de jouer dans le spectaculaire, le stade se convertit en un vaste terrain de motocross en accueillant le Nitro Circus, représentation de figures et cascades de motocross, quads, moto-neige, trottinettes et rollers, mais également, en s’offrant l’accueil du supercross en 2016. Enfin, le stade qui étoffe son offre sport se diversifie aussi sur l’événementiel culturel avec des représentations de l’orchestre national de Lille et dans un autre genre musical avec le retro fabulous open air (DJ). Le virage pris par le Stade Pierre Mauroy lui confère un avantage considérable dans l’amortissement de ses coûts, mais également une notoriété certaine dans l’accueil d’événements majeurs. Il est à l’opposé des offres d’installations sportives classiques, en se modulant en fonction des événements programmés, passant d’une pelouse à un parquet ou à une scène. Elle devient alors un outil événementiel, remarquable de prouesses pour moduler sans limites.
Paris La Défense Arena, modulabilité 2.0
Prouesse de modulation, c’est le pari mené par Jacky Lorenzetti en construisant la Paris Défense Arena, salle polymorphe, c’est-à-dire, se présentant sous différentes formes. A l’instar du Stade Pierre Mauroy, la salle fait preuve de performances en termes de dispositif en transformant l’espace sportif en un espace autre en moins de 24h. C’est l’un des phénomènes très peu comparable que peut s’offrir Paris La Défense Arena en programmant des rencontres à double header, soit deux jours d’événements consécutifs. Exit donc le simple terrain de rugby.

Circuit pour le Super-cross de Paris, tournage de danse, ring de MMA, départ de la dernière étape du Tour de France 2022 démontrent de l’adaptabilité de la salle qui se déploie également sur des secteurs autres que sportifs : salons professionnels, séminaires, tournages vidéos, défilés de haute couture, vaccinodrome, accueil des personnes isolées dans le cadre du plan grand froid, bureaux. Le club de rugby, le Racing 92, évolue donc sur un espace de pratique sportif bien différent du stade classique. La prouesse de la salle ira jusqu’à se positionner en site olympique accueillant les épreuves de natation, waterpolo et para-natation. Autrement dit, le terrain de rugby laissera place à un bassin olympique. Elle illustre alors la quête infinie des gestionnaires de sites sportifs : transformer au grès des envies pour que le site ne devienne jamais un éléphant blanc.
Traumatisme des grands événements sportifs précédents ou coûts difficiles à couvrir, les sites de pratique sportive tentent de se moderniser et d’induire une modulabilité dans l’exercice de leur fonction. Le simple équipement sportif ne suffit plus, au-delà de la quête d’une fan expérience toujours plus recherchée. Le simple équipement sportif jouit encore de beaux jours dans la plupart des collectivités territoriales, mais n’est plus en mesure d’assurer ses arrières lors de grands événements. Il semble alors que la construction d’un équipement unifonctionnel soit résolue. Place ainsi à de l’adaptabilité pour que le show continue, et en finir avec les éléphants blancs.
MILLET Stéphanie
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