Christophe Hatey et Florence Marschal s’associent une nouvelle fois pour la reprise de l’inclassable Pôles de Joël Pommerat, qui avait déjà enthousiasmé les spectateurs du studio Hebertot l’hiver dernier. Une proposition rythmée, qui s’emploie à user des nombreuses spécificités théâtrales, à l’instar de la première qui avait eu lieu vingt ans plus tôt au théâtre de la Main d’Or.

Hémisphère nord
Une chanteuse d’opéra aphone, un meurtrier innocent, une famille qui s’ignore : de quoi le récit de Pôles est-il le nom ? Porté par une mise en scène volontairement elliptique, l’état psycho-émotionnel des personnages pourrait se lire sur leurs jambes : du statisme d’Alexandre Maurice, transi par des faits dont il ne se souvient plus, jusqu’à l’extrême mobilité d’Elda Older dont les idées en filigrane semblent se mouvoir au même rythme que ses déplacements, en passant par Saltz pour qui tenir sur ses deux jambes semble aussi insupportable qu’envisager son frère meurtrier, chaque mouvement porte un sens. La mise en scène redouble de précision pour jouer sur toutes les polarités. En premier lieu, la polarité temporelle, qui scinde cette pièce en deux et dont la transition est vitale en matière d’adhésion au récit car « c’est par les joints que pénètrent la poésie » nous rappelle Robert Bresson. En second lieu, la polarité émotive au sujet d’Elda, dont l’interprétation de Florence Marschal reprend toute l’ambiguïté du personnage de Joël Pommerat. D’elle, on ne sait jamais véritablement la teneur de ses sentiments, comme il est difficile de comprendre son enthousiasme manifeste dans l’enquête qu’elle mène avec Alexandre Maurice. Enfin, la polarité quant aux interprétations qui peuvent être faites sur les agissements d’Alexandre Maurice. La réalité scénique de cette famille déchirée, cette hémisphère nord, est sans cesse remis en cause par une quête qui vient du fond, bien en-dessous des planches.
Hémisphère sud
Que se passe-t-il sous ces planches, où jadis était caché Lucas Steiner dans Le Dernier Métro ? Si cette mise en scène envisage Pôles à l’aune du déchirement, elle peut aussi être perçue comme un formidable apologue sur l’ultime nécessité de partir en quête : de soi, du passé, de tous les éléments qui ont amené ces tortures. A mesure de leurs logorrhées, parfois plaintives mais toujours lyriques, on s’étonne à aimer, voire comprendre les personnages : Elda n’est plus folle, Alexandre Maurice n’est plus criminel, Saltz n’est plus anxieux. Tous deviennent attachiants : deux pôles qui demeurent, sans que jamais l’un d’eux ne prennent le dessus. L’intervention de la voix robotique venant du fond de la salle crée une proposition totale et apparaît comme une tranche de rationnel sur une scène peuplée par l’illusion, l’onirisme, et la peur. Ce face à face entre l’amour et la raison, et dont seul ce Deus Ex Machina semble pouvoir anhéler, est au cœur de la pièce. Mis devant le fait accompli, Christophe Hatey et Florence Marschal ont puissamment su enseigner à Alexandre Maurice la binarité et la non compréhension du syllogisme qui l’amène à reconnaître. Et à nous poser une question : oublier est-il le contraire de reconnaître ?
Aymeric de Tarlé
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