Si au cours des campagnes présidentielles l’accent est traditionnellement mis sur les enjeux de pouvoir d’achat, de justice sociale ou encore sécuritaires au détriment du programme de politique étrangère, celle de 2022 aura dérogé à cette pratique. Certains facteurs dont la guerre russo-ukrainienne ont imposé une reflexion sur l’avenir de la France à l’international, et force est de constater que le programme international de Marine le Pen est plus étoffé que celui de son rival, en substance du moins. En réalité Emmanuel Macron a notamment bâti sa campagne sur sa fonction de chef des armées ce qui a constitué l’un des motifs de refus de débattre avec les autres candidats. Les deux candidats du second tour préconisent deux politiques internationales distinctes mais s’accordent sur l’idée de consolider la puissance de la France à l’international. Cet article n’a pas vocation à détailler de manière exhaustive les programmes des candidats sinon à en dégager les grandes tendances.
La défense
Fait remarquable d’abord, une attention plus grande a été portée sur les questions de défense durant la campagne. Marine Le Pen, candidate du Rassemblement National, ne propose pas dans son programme un volet concernant la politique internationale mais seulement un section sur le « défensif » dans lequel elle décline à la fois des mesures strictement dédiées à la défense et d’autres dédiées à la politique étrangère. Cet élément n’est pas anodin puisque, selon la candidate, la puissance diplomatique française doit être abordée d’un point de vue défensif. De son côté le candidat centriste Emmanuel Macron propose trois volets : international, européen et défensif. Sur le plan idéologique les deux candidats ont tous deux une vision héritée du gaullisme tout en refermant, chacun, un particularisme propre.
Les deux prétendants à l’Elysée proposent une réforme de ce secteur. Pour Emmanuel Macron il s’agit d’inscrire son potentiel second mandat dans la continuité du premier : un effort d’augmentation budgétaire dans toutes les compostantes de la Défense française : Loi de programmation militaire, Base Industrielle et Technologique de Défense et innovation. Marine le Pen propose pour sa part une hausse plus conséquente des budgets de la Défense (chiffré à 3 milliards d’euros par an) pour ce qu’elle appelle un triple effort de réarmement : pour les militaires, pour la France et pour un conflit de haute intensité. Pour le premier volet elle prévoit entre autre une revalorisation du salaire des militaires, initiative déjà entamée par Emmanuel Macron en 2017 avec le Plan Famille. Marine le Pen envisage aussi de relancer une politique industrielle dans l’armement avec un soutien financier massif apporté à la BITD en augmentant aussi le soutien de l’Etat aux exportations d’armes (SOUTEX). Enfin, elle prévoit un réarmement massif de nos armées françaises afin de remplacer le matériel obsolète et mettre l’accent sur l’entrainement militaire. Marine Le Pen estime que la menace pressante d’un conflit de haute intensité nécessite de se débarrasser de notre modèle français d’armée qu’elle qualifie « d’échantillonaire« . Plus globalement la candidate d’extrême droite affirme qu’elle souhaite mettre fin au mépris et à la désinvolture du politique à l’égard des militaires pour laisser davantage la parole à ce corps de métier.
Les deux candidats placent également au cœur de leur programme l’investissement dans les nouveaux champs et domaines stratégiques tels que le cyber et l’espace en renforçant les anciens (Terre, Mer, Air). Cet engagement avait été soutenu durant son quinquennat par Emmanuel Macron puisqu’il a investi massivement dans une véritable stratégie spatiale et cyber (LIO, LID, L2I). Sur la question de la dissuasion nucléaire aucune modification doctrinale n’est envisagée ni par l’un ni par l’autre mise à part la volonté de poursuivre la modernisation de l’arsenal nucléaire français.
Enfin, le candidat LREM continue de placer la jeunesse au coeur de son projet pour la Défense avec la poursuite du plan « Ambition armées-jeunesse » 2022 et du Service militaire volontaire.
L’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord)
Le mot d’ordre du programme du Rassemblement National semble être « l’autonomie stratégique ». Cela peut être considéré comme une tentative de décrédibilisation politique car Emmanuel Macron souhaite aussi renforcer l’autonomie stratégique de la France tout en restant membre de l’OTAN et en l’organisant de concert avec ses Alliés européens avec une stratégie de défense européenne. Marine le Pen prévoit pour sa part la sortie du commandement militaire intégré de l’OTAN pour les mêmes raisons qui avait poussé le général De Gaulle à en sortir en 1966. Ce dernier considérait en effet que l’Alliance ne servait que les intentions étasuniennes. En 2008, sous la présidence de Sarkozy, la France avait réintégré ce commandement. Sur ce point il est important de souligner que dans le contexte d’un réactualisation de la menace russe et d’un climat international de plus en plus instable, la France ne détient pas la capacité d’assurer à elle seule la défense de son territoire et de ses intérêts dans un conflit de haute intensité. Si l’élargissement de l’OTAN aux pays proches de la Russie, dénoncé par Marine le Pen, a contribué au renforcement des tensions entre l’Occident et la Russie, la sortie du commandement intégré de l’OTAN est vue par de nombreux observateurs comme une erreur stratégique dans ce contexte. Emmanuel Macron préconise une refondation de l’Alliance qu’il avait jugé « en état de mort cérébrale » pour la ramener à son essence : la défense du territoire nord-atlantique et la communauté de valeurs démocratiques.
La Russie et l’Ukraine
La tentative du Président-candidat Emmanuel Macron d’initier un rapprochement avec la Russie pour éviter la résurgence de tensions après la guerre de Crimée en 2014 au début de son mandat fut un échec. Le conflit russo-ukrainien semble mettre d’accord les deux candidats, qui souhaitent une sortie du conflit par la voie diplomatique et veulent éviter à tout prix de fournir une aide militaire directe à l’Ukraine, qui placerait la France comme une co-belligérante. De manière implicite, le Président sortant cherche des solutions alternatives pour ne pas faire rentrer l’Ukraine dans l’OTAN. Enfin, et a contrario de son rival, Marine le Pen souhaite opérer un rapprochement stratégique avec la Russie : une politique qu’elle peine à défendre depuis le 24 février 2022, date du début du conflit, mais qu’elle n’a pas encore remis en cause. Cette nouvelle alliance s’articulerait autour de grands thèmes comme la lutte contre le terrorisme, la sécurité du continent européen et les grands dossiers internationaux. Cependant, la Russie s’est engagée dans un conflit qui renforce davantage sa « clochardisation stratégique ». Un rapprochement franco-russe significatif pourrait, selon de nombreux observateurs, ternir l’image de la France à l’international et fragiliserait ses alliances historiques avec l’Occident et son engagement pour le respect du droit international.
L’Union européenne
Si Marine le Pen ne propose pas un « Frexit », elle souhaite restaurer la souveraineté française tout en restant au sein d’une Union européenne qu’elle juge actuellement « trop technocratique« . Elle souhaite développer une Alliance des Nations qui se subsistera progressivement à l’Union européenne d’aujourd’hui. À ce titre, elle tient à inscrire constitutionnellement la primauté des lois françaises sur les lois européennes, mais aussi à modifier l’espace Schengen avec un rétablissement du contrôle aux frontières, et la réduction de la contribution française au budget européen. Le président-candidat, souvent surnommé « l’Européen » en raison de sa loyauté envers l’UE, prône une Europe solidaire, verte et cohérente avec ses valeurs.
Si la candidate RN a assoupli ses mesures vis-à-vis de l’Union européenne, elle est reste encore intransigeante sur la question de l’Europe de la défense. Elle souhaite mettre un coup d’arrêt au partenariat stratégique qui existe entre la France et l’Allemagne considérant que les divergences doctrinales en matière de dissuasion nucléaire et d’exportations d’armes sont trop importantes. Elle préconise aussi une re-fondation du partenariat stratégique franco-britannique à la lumière des évènements de septembre 2021 (ici je sais pas de quoi elle parle, et il faut le préciser) qui sont venus remettre en cause la coopération entre les deux Etats. De manière générale, Marine le Pen prévoit de mettre fin au projet de l’Europe de la Défense dont la France est l’un des moteurs. Selon elle « les alliances (européennes) sont devenues de véritables dépendances assumées au nom de l’illusion d’une autonomie stratégique européenne. »
A l’inverse Emmanuel Macron continue, dans son programme, de développer ce concept d’Europe de la Défense. Sous sa présidence, de nombreuses initiatives ont été prises avec la création du Fonds Européen de Défense, l’initiative Européenne d’Intervention ou encore le déploiement de la force Takuba au Sahel. La Présidence française de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2022 devrait d’ailleurs permettre de renforcer ces mesures. Si l’idée d’une défense européenne est intéressante pour permettre au vieux continent de réduire sa dépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis, elle reste encore embryonnaire et soumise aux divergences profondes entre les pays de l’Union.
Les théâtres d’opérations
Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération militaire Barkhane au Mali mais souhaite perpétrer l’engagement militaire français dans d’autres Etats du Sahel, notamment au Niger, afin de poursuivre la lutte contre le terrorisme. L’opération Barkhane aura été marquée par une victoire militaire incontestable mais une lourde défaite politique en raison des soulèvements locaux contre une population malienne hostile à la présence militaire française. Marine le Pen dresse ce même constat dans son programme et préconise une limitation de ce type d’OPEX et une meilleure définition de leurs objectifs. Elle souhaite aussi renforcer la défense des territoires d’Outre Mer face aux prétentions chinoises et s’inscrire durablement dans l’espace indo-pacifique.
La diplomatie
Hormis la mention de la puissance diplomatique de la France, rien n’est précisé concernant la diplomatie dans le programme du RN. Emmanuel Macron, pour sa part, affirme que la France, depuis son élection, retrouvé sa place et son leadership sur la scène internationale. Il entend continuer à faire de notre pays l’un des principaux acteurs international du climat (adoption du Green Deal, sommets One Planet et initiative Make our planet great again). Il affirme aussi vouloir continuer à diffuser l’universalisme français notamment dans le domaine de la souveraineté numérique. Il entend proposer un modèle alternatif à la mondialisation et un agenda ambitieux pour les relations franco-africaines (solidarité, francophonie ou encore mémoire). Néanmoins, eu égard à la détérioration des relations avec l’Algérie, au programme écologique discutable du candidat, la condamnation de la France pour inaction écologique et à sa politique migratoire, ce constat doit être relativisé.
Ainsi, bien que les deux candidats s’accordent de manière générale sur la nécessité de renforcer la puissance de la France à l’international, leurs moyens d’y parvenir diffèrent. Le programme de Marine le Pen est essentiellement axé sur le secteur défensif et propose une réelle réforme dans ce domaine qui pourrait contribuer à une ascension aux extrêmes. Elle a néanmoins saisi les vrais enjeux que posent la résurgence d’un hypothétique conflit de haute intensité. A côté, Emmanuel Macron souhaite continuer les efforts initiés depuis 2017 pour le renforcement de la Défense. Concernant les alliances et les partenariats stratégiques, Marine le Pen souhaite que la France se dote d’une politique dite « des mains libres » mais son programme pourrait en réalité pousser à un isolement de la France sur la scène internationale avec des alliances contestables et une remise en cause de la politique étrangère poursuivie depuis plusieurs décennies à la poursuite d’une prétendue souveraineté perdue. A l’inverse, le candidat LREM s’inscrit dans une logique de continuité en souhaitant renforcer à la fois l’autonomie stratégique française, la coopération européenne et les relations nord-atlantiques tout en restant volontariste. Le bilan international du Président sortant est néanmoins critiquable. Enfin, on peut déplorer l’absence de mesures diplomatiques dans le programme du Rassemblement National. Dans les deux cas le Président ou la Présidente élu dimanche prochain devra faire face à de réels défis internationaux et assumer un certain déclin de la puissance française.
Julie Draut
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