En septembre 2021, la revue scientifique The Lancet Planetary Health publie une étude au sujet de l’éco-anxiété menée par des chercheurs et chercheuses d’universités britanniques, américaines et finlandaises et financée par l’ONG Avaaz. Grâce à un sondage réalisé auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans et issus de dix pays différents, elle révèle que 45% d’entre eux éprouvent de l’anxiété dans leur vie quotidienne à cause de la crise climatique. Encore plus dramatique, 75% jugent le futur « effrayant » et 56% estiment que « l’humanité est condamnée ». Conclusion : l’éco-anxiété fait de plus en plus de victimes.

L’éco-anxiété, c’est quoi ?
Cette notion a été théorisée en 1997 par Véronique Lapaige, chercheuse belgo-canadienne en santé publique. Cependant, il n’existe pas à ce jour de définition officielle de l’éco-anxiété en France : ce terme ne figure par exemple dans aucun des principaux dictionnaires. Et même au niveau mondial, la notion n’est abordée sur aucun des sites internet des principales organisations internationales focalisées sur l’environnement comme le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), l’OMM (Organisation Météorologique Mondiale) ou le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat). Pour obtenir une explication précise, il faut donc se diriger vers les dictionnaires étrangers. C’est ainsi que le Dictionnaire Oxford la définit comme une « inquiétude extrême face aux dommages actuels et futurs causés à l’environnement par l’activité humaine et le changement climatique« . L’éco-anxiété est en fait surtout une anxiété d’anticipation dans le sens où la peur est dirigée vers l’avenir. Les psychiatres parlent alors de ce phénomène comme d’un « stress pré-traumatique ». Plus concrètement, elle se manifeste par divers symptômes caractéristiques des troubles anxieux : crises de panique, insomnies, pensées obsessionnelles, troubles alimentaires…
L’éco-anxiété, comment l’expliquer ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’éco-anxiété n’est pas reconnue comme un trouble mental, que ce soit par l’OMS ou par la plupart des experts. Selon les spécialistes, l’éco-anxiété est uniquement une réponse rationnelle à l’urgence climatique et aux rapports scientifiques de plus en plus alarmants à ce sujet.
Ainsi, beaucoup de penseurs voient dans ce phénomène psychologique une réponse naturelle à la disparition ou à la destruction d’espèces et d’écosystèmes. En effet, selon la chercheuse Ashlee Cunsolo et le chercheur Neville R. Ellis, face à ces catastrophes, il est commun de développer ce qu’ils ont nommé la « peine écologique ». Ils expliquent ainsi : « la peine écologique est une conséquence naturelle de la perte écologique, particulièrement pour les personnes qui vivent, travaillent, ou entretiennent des relations étroites avec les environnements naturels »[2]. Cette idée rejoint d’ailleurs le concept de « solastalgie » développé par le philosophe australien Glenn Albrecht et qui correspond à la détresse psychologique causée par le changement radical d’un environnement familier[3]. On peut notamment prendre l’exemple des feux en Australie : ils ont été tellement intenses que de nombreux écosystèmes ne pourront pas être retrouvés intacts, ce qui provoque une grande souffrance chez la population qui doit alors faire son deuil vis-à-vis de lieux auxquels elle était attachée.

Ainsi les émotions par lesquelles beaucoup d’entre nous passent face à l’urgence climatique peuvent être rapprochées des cinq stades du deuil définis par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross : le déni, la colère, le marchandage, la tristesse, et enfin l’acceptation.
L’éco-anxiété, salvatrice ?
Accepter cette idée de deuil peut alors agir comme une réelle libération. Elle permet de réaliser que la palette d’émotions qui nous traversent est naturelle et que ce processus d’acceptation, aussi long et complexe qu’il soit, nous mène vers un horizon plus serein au sein duquel nous serons en mesure de passer à l’action. En effet, pour beaucoup, le militantisme écologique débute par un « déclic », qui, bien souvent, prend la forme de crises de panique ou de stress chronique découlant de l’éco-anxiété. Finalement, l’éco-anxiété, bien qu’elle soit très difficile à vivre au quotidien, serait donc une étape nécessaire pour pouvoir agir par la suite. Il s’agit en fait de sortir du déni et de se confronter à la réalité, aussi terrifiante soit elle, pour finir par être en mesure d’adapter son comportement à cette réalité en s’engageant à son échelle.
L’éco-anxiété, à deux pas de l’éco-paralysie ?
À contrario, la médiatisation de l’éco-anxiété peut aussi être contreproductive. Pour certains, elle pourrait en effet favoriser les climatosceptiques, qui manipulent ce concept, faisant des éco-anxieux des personnes psychologiquement fragiles et catastrophistes. Par là, ils détournent alors la société du vrai problème en faisant du dérèglement climatique un seul problème de perception.
La peur peut également se transformer en un sentiment d’impuissance et pousser les éco-anxieux à adopter un comportement passif. On bascule alors dans ce qu’on appelle l’ « éco-paralysie », un état émotionnel qui plonge les personnes concernées dans l’incapacité d’agir et qui nuit donc à la lutte contre le dérèglement climatique. Selon le doctorant en communication Kamyar Razavi, communiquer sur la catastrophe environnementale via le prisme de l’éco-anxiété peut alors s’avérer néfaste car paralysant : « Les spécialistes de la communication environnementale soulignent depuis longtemps que l’un des principaux obstacles à la mobilisation est une communication trop orientée sur la peur »[4].
Finalement, l’éco-anxiété est un phénomène en plein essor et qui se retrouve donc de plus en plus au coeur du débat public. Elle permet de mettre en avant la gravité de la situation environnementale actuelle et d’alerter au sujet de l’impact qu’a cette situation sur la santé mentale de la population. Pour autant, il est aussi primordial de trouver des solutions pour parvenir à en sortir et ainsi reprendre espoir pour être capable d’agir concrètement.
Margot Delamarre
Credits sources et photo de couverture : okFung, Alekse
i Morozov / Getty Images / Montage L’actualité
[1] Marks, E. Hickman, C. Pihkala, P. Clayton, S. Lewandowski, E.R. Mayall, E.E. van Susteren, L. (2021). Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon
[2] Cunsolo, A. et Ellis, N.R. (2018). « Ecological grief as a mental health response to climate change-related loss ». Nature Climate Change. volume 8. (n°4)
[3] Chaix, V. (2021). « Les feux en Australie sont un message pour le monde : si votre hypocrisie continue, vous allez tous brûler ». Reporterre
[4] Gallé, J. (2019). « Ce que les enfants ont à nous dire sur la crise climatique ». The Conversation
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