Angela Merkel, figure du gouvernement allemand du début du 21e siècle, a quitté ses fonctions le mercredi 8 décembre 2021, lors de l’investiture de son successeur Olaf Scholz. Elle a bénéficié de la cérémonie militaire dite du “Großer Zapfenstreich”, le 2 décembre dernier. Celle-ci n’a lieu que pour les célébrations nationales et les commémorations politiques solennelles. C’est le cas pour la cérémonie d’adieu pour un président fédéral ou un chancelier.
Angela Merkel devient chancelière fédérale le 22 novembre 2005. Depuis, elle est perçue comme un acteur politique puissant au sein de l’Union européenne. Revenons sur cinq événements marquants de la carrière de cette femme historique. Comment la fille d’Hambourg est-elle passée de “petite fille” selon Helmut Kohl à “Mutti”, qui signifie mère en allemand ?
Ses débuts en politique
Née en 1957 et fille de pasteur, elle grandit en RDA – République démocratique allemande, soit l’Allemagne de l’Est communiste. Si elle se déclare en désaccord avec le régime socialiste, elle ne démontre pas de forte opposition comparé à d’autres dissidents politiques. Elle entre même plutôt tardivement sur la scène politique. Elle suit des études scientifiques et devient physicienne en 1978. Elle obtient ensuite un doctorat en chimie quantique en 1986 et entre à l’Académie des sciences de Berlin-Est.
En 1989, elle manifeste pour la première fois son opposition à la RDA en adhérant au mouvement politique chrétien, le “Demokratischer Aufbruch” (DA). L’élection de la Chambre du peuple en 1990 lui permet une entrée en scène politique nationale puisqu’elle dirige la conférence de presse réunissant les dirigeants de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest. Après cette élection, elle devient porte-parole adjointe du dernier gouvernement de RDA. En décembre 1990, du fait de la fusion entre le DA et l’Union chrétienne-démocrate (la CDU), elle est élue en mandat direct au Bundestag, l’Assemblée parlementaire de la République fédérale allemande. Elle devient ministre fédérale des Femmes et de la Jeunesse de 1991 à 1994 au sein du cabinet de Kohl IV. Elle grimpe progressivement les échelons au sein de la CDU. D’abord en devenant présidente d’un Land puis en assurant le poste de Secrétaire générale à partir du 7 novembre 1998, avec une majorité de 92,8% des suffrages exprimés. Puis, le 10 avril 2000, elle est élue à la présidence de la CDU avec 95,9% des voix. La “petite fille” cesse de l’être le jour où elle se détourne d’Helmut Kohl, en l’excluant du parti suite à une affaire de financements politiques illégaux dans laquelle il était accusé, alors qu’aucun membre de la CDU n’osait le contrer.
Quatre mandats consécutifs
Angela Merkel fut Chancelière fédérale de 2005 à 2021. En Allemagne, le Chancelier est le chef du gouvernement de la République fédérale : il est élu par l’Assemblée parlementaire et, selon la Loi fondamentale, il « fixe les grandes orientations de la politique et en assume la responsabilité ». Même si c’est la figure allemande la plus puissante, il reste troisième dans l’ordre protocolaire après le président de la République fédérale et le président de l’Assemblée parlementaire.
Angela Merkel obtient son premier mandat le 18 septembre 2005, grâce à son organisation de l’union de la CDU et de la CSU – l’Union chrétienne-sociale en Bavière. Toutefois, la coalition n’est pas chose aisée, car elle ne possède que quatre sièges d’écart avec le SPD, le parti social-démocrate. Angela Merkel devient alors pour la première fois chancelière aux termes de longues négociations et un accord entre les partis. Ses objectifs sont alors de réduire le chômage et de préserver l’économie allemande, en simplifiant notamment le système fiscal et en remaniant le droit du travail.
Le 27 septembre 2009, la coalition CDU/CSU obtient la majorité législative, et Angela Merkel entame son deuxième mandat. Ses débuts seront marqués par le changement de Président fédéral et une nouvelle coalition noire-jaune au détriment de celle CDU/CSU et SPD. Le partage du gouvernement se fait désormais entre la CDU/CSU et les libéraux du FPD, le parti libéral-démocrate. Cette période est marquée par différentes crises, notamment financière en 2009 et celle des dettes souveraines européennes. En règle générale, la population est satisfaite de sa gestion du pays. Le politologue Gero Neugebaue note que « la chancelière a instauré le ’Kurzarbeit’ (un mécanisme de chômage partiel cofinancé par l’État fédéral), qui a permis d’éviter les vagues de licenciement massives, préservant l’emploi et permettant aux entreprises de redémarrer plus fort lorsque la tempête était passée. Le résultat est une économie florissante ».
Son troisième mandat est marqué par le plus haut score pour un candidat depuis 1994, avec 41,5% des suffrages exprimés lors des élections législatives de septembre 2013. Elle sera élue chancelière en décembre de la même année. Ce mandat sera marqué par sa politique migratoire et la montée du parti Afd – Alternative pour l’Allemagne. L’Europe lui reprochera d’ailleurs de vouloir imposer cette politique et de refuser trop catégoriquement les négociations avec la Turquie. Elle abandonne par ailleurs au cours de ce mandat le système de quotas nationaux pour les migrants. La fin de son mandat, en 2017, sera marquée par l’adoption de la loi visant à instaurer le mariage homosexuel.
Son quatrième et dernier mandat commence avec des élections qui plongent l’Allemagne dans une impasse politique inédite. La CDU-CSU n’obtient que 32,9% des suffrages, le score le plus bas depuis 1949. Le parti d’extrême droite obtient au cours de ce scrutin 94 sièges. Angela Merkel s’affaiblit de plus en plus sur la scène internationale en montrant sa difficulté à constituer un gouvernement. Même si elle parvient à former une coalition, l’instabilité persiste et la Chancelière est mise en cause dans sa direction de la CDU. Sous pression, elle ne se représente pas pour la présidence. Sa côte de popularité grimpe à nouveau grâce à sa bonne gestion de la crise sanitaire : une note de fin convenable qui marque 16 ans à la tête de l’Allemagne.
Angela Merkel et l’Europe
Quelles ont été les grandes lignes de la politique étrangère menée par Madame Merkel, souvent surnommée le “moteur de l’Europe” ?
Durant son premier mandat, elle refuse l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne, lui préférant un partenariat particulier. Elle rejette également l’idée d’un État indépendant pour le Kosovo. Sa rencontre avec Jacques Chirac, alors président de la République française, et de son premier ministre Dominique de Villepin, s’oriente sur l’importance de l’amitié franco-allemande et d’un axe fort parmi l’Union européenne. Son engagement pour l’Europe sera valorisé en 2008 par l’obtention du Prix International Charlemagne.
Lors de son troisième mandat, elle incarne progressivement l’hégémonie allemande sur l’Europe. La Grèce se rappellera surtout de son ultimatum à leur égard, et de ses menaces d’expulsion de l’Union européenne en raison de la crise de la dette publique grecque.
Lors des élections européennes de 2019, la coalition CDU/CSU arrive en tête, mais avec un score historiquement faible (28,9 %). Alors qu’Alliance/Les Verts obtient un score très élevé (20,5 %) et que le SPD s’effondre (15,8 %).
Si sa gestion de la crise du Covid-19 est saluée, elle est critiquée au sein de l’Union européenne en raison d’un certain égoïsme. Même si elle proposera par la suite, et conjointement avec la France, un plan de relance européen de 500 milliards d’euros.
Ainsi, bien que sa politique très ferme n’ait pas reçu des soutiens unanimes au sein des pays européens du Sud, elle aura su marquer les esprits à l’international.
Sa gestion des crises
Angela Merkel n’a évidemment pas été confrontée qu’à ces trois crises, mais attardons-nous ici sur sa gestion de la politique migratoire, des attentats ou encore de la sortie du nucléaire.
Lors de la crise migratoire européenne de 2015, Angela Merkel fait le choix d’ouvrir les frontières allemandes pour accueillir les réfugiés syriens. Cette décision politique fait considérablement baisser sa côte de popularité auprès des Allemands. Son quatrième mandat en a d’ailleurs été menacé. En janvier 2016, 56% de la population pense que sa politique est “mauvaise”. La décision d’accueillir plus d’un million de Syriens sur le territoire européen a dévoilé des tendances xénophobes et anti-islamistes. Ces avis persistent d’ailleurs, comme le démontre le succès de l’Afd.
Par ailleurs, durant ses mandats, l’Allemagne est la cible de plusieurs attentats. C’est surtout l’attentat de Berlin lors du marché de Noël le 20 décembre 2016, qui a fait douze morts, qui aura marqué les esprits. Un débat émerge alors du fait que le responsable de l’attentat était classé parmi les islamistes dangereux sur une liste de la police. Le quotidien conservateur Die Welt parlera de « bavures ». « Les autorités l’avaient dans le viseur et il a quand même réussi à disparaître », s’étonne le Spiegel. Angela Merkel félicite tout de même “le calme” des Allemands qui ne “cèdent pas à la peur”. Pourtant, quatre années plus tard, elle se doit de tenir un autre discours. Elle dénonce la xénophobie suite au double attentat de Hanau : « Le racisme est un poison, la haine est un poison. Et ce poison existe dans notre société, depuis les actes de la NSU jusqu’au meurtre de Walter Lübcke et aux assassinats de Halle ». Elle ajoute : « Nous nous opposons avec force et détermination à tous ceux qui tentent de diviser l’Allemagne », en insistant sur « les droits et la dignité de chaque personne dans notre pays », sans distinction « d’origine ou de religion ».
Le nucléaire est également un sujet marquant de la politique d’Angela Merkel. D’abord fervente supportrice de cette énergie, elle met en place une politique de diminution progressives des centrales nucléaires. Suite à la catastrophe de Fukushima au Japon, qui a soufflé un vent de panique au sein de la population allemande, elle annonce en 2010 la sortie du nucléaire de l’Allemagne d’ici 2022.
Opinion publique
À ses débuts en tant que chancelière, Angela Merkel jouit d’une cote de popularité de 60% : un score inédit qui n’a jamais été atteint.
En 2015, le magazine Times la choisit comme sa “personnalité de l’année”. Elle est désignée 14 fois la femme la plus puissante du monde par le magazine Forbes. Pourtant, en 2021, pour la première fois, elle fut exclue de cette liste. Cela marque un ressentiment plus global de la part du peuple allemand. Sa côte de popularité baissait depuis son troisième mandat et sa politique migratoire, alors que le parti d’extrême droite monte en popularité dans les sondages. Ainsi, malgré un regain de reconnaissance pour sa gestion de la crise sanitaire, Angela Merkel était déjà enlisée dans une voie de sortie. Son bilan n’est pas profondément remis en cause mais il en sort mitigé selon certaines analyses. Selon les points de vue, sa politique en Europe était soit trop ferme soit une réussite pour l’économie allemande.
Toutefois, tous les comptes-rendus des femmes et hommes politiques ressortent mi-figue, mi-raisin. Angela Merkel ne perdra pourtant jamais cette figure de femme puissante, de par ses quatre mandats, ses prises de décision fermes et ses choix diplomatiques puissants. Elle a marqué l’Allemagne, la France, l’Europe et le monde entier.
Lisa VOIRIN
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