Pour cette nouvelle édition du Prix littéraire On’, nos jurés se sont penchés sur quatre bandes dessinées de l’année littéraire 2020. Toutes les deux semaines, découvrez ce qu’ils ont pensé des ouvrages en compétition. Au programme cette semaine : «Peau d’homme» d’Hubert et Zanzim.
Sans contrefaçon, je suis un garçon !
Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût : Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout. Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations : une « peau d’homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d’un jeune homme à la beauté stupéfiante. Elle peut désormais visiter incognito le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel. Mais dans sa peau d’homme, Bianca s’affranchit des limites imposées aux femmes et découvre l’amour et la sexualité.
La morale de la Renaissance agit alors en miroir de celle de notre siècle et pose plusieurs questions : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l’objet de mépris et de coercition ? Comment enfin la morale peut-elle être l’instrument d’une domination à la fois sévère et inconsciente ?
À travers une fable enlevée et subtile comme une comédie de Billy Wilder, Hubert et Zanzim questionnent avec brio notre rapport au genre et à la sexualité… mais pas que. En mêlant ainsi la religion et le sexe, la morale et l’humour, la noblesse et le franc-parler, Peau d’homme nous invite tant à la libération des mœurs qu’à la quête folle et ardente de l’amour.

Lucie Ducos-Taulou : “ Peau d’Homme est une lecture apaisante qui tend à rappeler que les combats actuels ne sont pas futiles”
Peau d’Homme est l’histoire d’une femme qui revêt l’enveloppe corporelle d’un Homme pour comprendre tout ce qui lui est interdit. Contrairement à Peau d’Âne, elle ne fuit pas, elle infiltre un monde qui lui était jusqu’alors fermé. Sous la forme du conte, la condition féminine prend une dimension nouvelle. Les grands discours laissent place à des observations simples qui révèlent encore mieux la réalité du patriarcat. L’époque médiévale en toile de fond permet d’appuyer l’univers enfantin de la narration. Et c’est cette simplicité qui fait émerger les évidences. La domination masculine ou l’homophobie ne sont pas ici des sujets purement politiques et sociaux mais des injustices qui rendent les protagonistes malheureux.
L’identification à des personnages chronologiquement éloignés mais culturellement similaires, est quasi automatique. Et les auteurs déroulent avec brio le fil du pathos, sans en abuser, mais en en mettant assez pour que l’on comprenne les grands combats de notre époque. Le graphisme sert le discours, par sa simplicité et ses contours proches de l’album pour enfant.
Peau d’Homme, c’est le Candide de notre époque. Comme Voltaire, Hubert et Zanzin propose un double discours. Le conte d’abord, avec toutes ses mésaventures. Et puis le combat militant ensuite. Et de page en page, on se plonge avec plaisir dans la vie de princesse comme dans les pensées d’une féministe en devenir.
À une époque où les discours forment un brouhaha inaudible, Peau d’Homme est une lecture apaisante qui tend à rappeler que les combats actuels ne sont pas futiles. En dessin, en chanson ou en peinture, l’art ne cessera jamais de vivre pour son époque.
Océane Caillat : “Un ouvrage féministe et surprenant à ne pas manquer”
Ne vous prêtez pas aux allures enfantines de ce décor médiéval de conte de fées, l’œuvre est loin d’être naïve. Elle se veut au contraire sensuelle et féministe.
Nous sommes invités à suivre les mésaventures d’une princesse qui se retrouve prisonnière de son mariage forcé. Intriguée par ces premières pages, le récit semble pour l’instant être une simple histoire de cœur. Puis l’attendue peau d’homme entre en scène, le secret d’une sororité générationnelle apporte alors une grande puissance au récit. Ce costume lui permet en effet d’approcher anonymement son promis mais surtout de balayer les mœurs de notre société. Ainsi, une ode à l’émancipation sexuelle des femmes s’immisce dans le récit. Le patriarcat religieux n’est pas épargné par les auteurs tout comme l’homophobie. Notre princesse s’affirme au fil des cases et nous souligne au passage les persistantes inégalités entre les femmes et les hommes. Finalement ce contraste entre le trait innocent de Zanzim et le discours saisissant de l’œuvre est une combinaison curieusement gagnante. En effet, les injustices de notre société y semblent davantage percutantes. Le rythme est juste et l’humour y est très bien dosé. On rit des absurdités du machisme mais on réfléchit aussi aux questions de genre et à notre rapport à la sexualité. Enfin, on s’attendrit devant cette célébration de l’amour et de la liberté.
Hubert et Zanzim nous offrent une bande dessinée précieuse et militante qui se veut stimulante dans cet horizon de combats sociétaux qui sont encore à gagner. L’idée était originale, le projet a été réussi et nous offre une lecture si inspirante !
Le prix littéraire pour la catégorie BD s’achève avec ce dernier article. On espère que vous avez pris du plaisir à nous lire et qu’on vous a surtout donné des envies de lecture…On se retrouve très vite pour vous révéler l’ouvrage gagnant !
Lucie Ducos-Taulou et Océane Caillat
Ajouter un commentaire