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Prix On’ 2021 / Bandes dessinées : « Seules à Berlin » de Nicolas Junker

Pour cette nouvelle édition du Prix littéraire On’, nos jurés se sont penchés sur quatre bandes dessinées de l’année littéraire 2020. Toutes les deux semaines, découvrez ce qu’ils ont pensé des ouvrages en compétition. Au programme cette semaine : « Seules à Berlin » de Nicolas Junker, aux éditions Casterman.

Le récit d’une amitié entre une Allemande et une Russe à la fin de la Seconde Guerre mondiale… Berlin, avril 1945. Ingrid est allemande et sort de plusieurs années d’enfer sous le régime nazi. Evgeniya est russe et vient d’arriver à Berlin avec l’armée soviétique pour authentifier les restes d’Hitler. La première est épuisée, apeurée par les « barbares » qu’elle voit débarquer chez elle, tandis que la seconde, débordante de vie et de sollicitude, est intriguée par cette femme avec qui elle doit cohabiter. Mais chacune tient un journal intime, ce qui permet au lecteur de suivre peu à peu la naissance d’une amitié en apparence impossible… Nicolas Juncker fait ici le portrait d’une très belle amitié, mais aussi celui d’une ville où tout est à reconstruire, à l’aube de la Guerre froide et des nouveaux bouleversements que va connaître l’Allemagne…

Lucie Ducos-Taulou : “Cette BD est un étonnant mélange de genres : restitution historique, travail de mémoire, drame, comédie…”

Berlin, 1945 : c’est la libération. L’auteur utilise de véritables archives pour parler de cet évènement qui a marqué l’histoire européenne. Le travail historique est considérable et les récits particuliers que cette BD restituent constituent un renouveau appréciable dans une mémoire qui apparaît parfois immuable. Les histoires – véritables – d’une agent du KGB et d’une berlinoise se rencontrent fictivement. Et c’est avec une certaine maestria que l’auteur tisse ce lien entre les deux femmes. L’une, jeune et pleine de vie fait partie du camp des victorieux. L’autre, épuisée et tant de fois abusée, voit sa ville détruite sans qu’elle ne puisse rien y faire. La confrontation entre ces deux caractères et formes de résistance est progressive. Elle s’installe doucement, page après page, s’attachant à rester fidèle à l’histoire, tout en allant chercher dans cette sombre période, le peu de confiance et d’empathie qu’il reste. Loin de sombrer dans le pathos ou dans une démonstration  anachronique d’un timide féminisme, l’auteur dépeint une sombre réalité teintée d’espoir, d’humour et d’humanité.

Le choix des dessins en noir, blanc et nuances de gris donne à ce roman graphique une dimension très forte de témoignage. Et pourtant, on rit à la lecture de ces destins tragiques. On s’émeut des amitiés fictives. Dans cet ouvrage, tout est réuni pour servir au lecteur une réminiscence historique vivante, emprunte d’un comique piquant.

Seules à Berlin est la preuve que l’histoire peut se raconter encore et encore au prisme de récits enfouis ou oubliés. Nicolas Juncker montre également que l’histoire n’est pas l’apanage des historiens, et que l’art, en donnant vie aux témoignages, peut tout à fait se présenter comme la voix d’un passé exsangue.

Océane Caillat : « Histoire, sororité et mémoire, une immersion saisissante dans le Berlin de 1945 ! »

Le pari de l’auteur est de croiser deux journaux intimes et d’imaginer la rencontre de leurs autrices. Il s’agit de deux véritables archives dont il s’inspire librement. Cela amène la confrontation de deux femmes que tout semble opposer Evgeniya et Ingrid. L’une est russe, l’autre allemande, l’une est vainqueur, l’autre vaincue. Nous nous trouvons à l’issue de la Seconde Guerre mondiale dans un Berlin dévasté et hanté par le conflit qui est en train de s’achever. L’entrée en noir et blanc nous fait rapidement saisir le caractère dramatique accordé au récit. Puis, lorsque le rouge s’éclate soudainement au milieu des cases, c’est la violence des combats qui en ressort. Quant aux visages que l’on croise, un réel travail est effectué, ils sont captivants. Les regards si expressifs sont perçants à en devenir troublants. Par ailleurs, la lecture se fait aussi sonore : les chars, les bombardements ou encore les cris résonnent au fil des pages.  

C’est dans ce décor d’un Berlin en ruines que prend place une sororité fictive entre ces deux femmes. C’est le récit d’une amitié improbable qui offre un réel coup de projecteur sur les conditions des femmes durant la guerre. Certaines, trop nombreuses, comme Ingrid sont violées. Tandis que d’autres se battent pour nourrir leurs jeunes bébés affamés. Ingrid et Evgeniya ne connaissent certes pas le même destin mais partagent indéniablement la solitude et l’impuissance face aux hommes.

La lecture est intime, éprouvante mais avant tout essentielle pour la mémoire. Nicolas Junker nous offre ainsi un ouvrage féministe et historique. Un bel et juste hommage aux femmes trop souvent délaissées par l’historiographie !

On vous retrouve dans deux semaines pour vous parler de la bande dessinée « Le chanteur perdu » de Tronchet aux éditions Dupuis !

Lucie Ducos-Taulou, Océane Caillat

La rédaction

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