
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : un pouvoir d’influence limité
Le 15 janvier 2021, 2 800 scientifiques de 130 pays se sont réunis lors d’un sommet virtuel organisé par l’OMS. À l’ordre du jour: l’efficacité du vaccin actuel, les recherches en cours mais également les stocks de doses vaccinales et leur distribution. Comment améliorer les caractéristiques d’un vaccin qui nécessite deux innoculations et un respect strict de la chaîne du froid? Répondre à cette question pourrait sans doute permettre une diffusion beaucoup plus large de la stratégie vaccinale. Mais pour l’instant, comment répartir une offre limitée ?

Le 27 janvier 2021, le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a donné un discours devant l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe. Il met en garde sur la montée des inégalités mondiales que la distribution du vaccin révèle: “Alors que les vaccins donnent de l’espoir aux populations des pays riches, une grande partie du monde pourrait être laissée pour compte.”. À l’heure à laquelle il parle, “75 % des doses ont été déployées dans dix pays seulement”. Les pays riches ont parfois passé des commandes vaccinales trois fois supérieures à leur population, au détriment de certains pays défavorisés qui ne pourront pas avoir accès au vaccin avant 2022. La priorité doit être donnée aux personnes à risques et au personnel médical. Et cette priorité doit s’effectuer à l’échelle mondiale, sans considération des richesses nationales.
C’est la raison pour laquelle le mécanisme COVAX a été mis en place par l’OMS en septembre 2020. Il a été rejoint par plus de 190 États. Il vise à coordonner la collaboration internationale et à renforcer le poids des États dans les négociations face à l’industrie pharmaceutique. Mais aussi – et surtout – il comprend un mécanisme de financement qui garantit aux 92 pays les plus défavorisés du programme d’avoir accès à des doses.
La coopération internationale: un devoir?
La coopération internationale est primordiale pour espérer la fin de
cette pandémie. À l’ère où la globalisation est un processus intégré à notre
quotidien, il faut que l’immunité collective – 60% d’une population donnée –
soit une réalité à l’échelle mondiale. Pourtant, si les organisations
internationales visent à organiser cette coopération, cela n’implique pas
qu’elle soit automatique. L’OMS est créée en 1946 sur le socle d’un fort
principe de solidarité. En son sein, la santé est inscrite comme une question
d’intérêt général. Et l’OMS est la seule organisation à être dotée d’une
Constitution et donc de pouvoirs juridiques particuliers. Mais, Samantha
Besson, titulaire de la chaire de Droit international des institutions au
Collège de France, affirme qu’en pratique, l’OMS fait preuve d’une certaine
faiblesse institutionnelle à l’origine des critiques actuelles. Pourtant, la
nécessité de telles organisations n’a jamais été aussi évidente.

En effet, les organisations onusiennes reposent sur un ordre guerrier du monde. Héritage des traités de 1945, elles visent à garantir la paix. Postérieurement, ces organisations ont servi une forme de mise en ordre du monde, mais toujours dans une logique intergouvernementale et non supranationale. Il apparaît alors, d’une évidence presque fatale, que les espoirs placés dans une organisation comme l’OMS n’ont été que très partiellement réalisés. Les maigres compétences de l’OMS, déléguées par des pouvoirs nationaux réticents à une autorité mondiale, n’ont pas suffi à promouvoir des plans de santé au niveau international. À cela cependant, il reste la coopération inter-étatique. Les États, s’ils acceptent rarement de déléguer leurs compétences, s’entendent parfois dans le but d’atteindre un objectif commun. Mais la coopération internationale n’est pourtant pas un devoir. Elle ne repose sur rien d’autres que des principes moraux, fondés sur une appartenance commune à l’Humanité. Le directeur général de l’OMS parle aujourd’hui d’un “échec moral” quant à la stratégie vaccinale.
Au-delà des états: l’industrie pharmaceutique, sans limite ni morale
L’OMS a pris la résolution d’inscrire les vaccins contre la COVID-19 comme un bien public mondial. De fait, l’accès à ces vaccins doit être garanti sur la base de l’article 1 de la DUDH: “Tous les hommes naissent libres et égaux en droit”. Or, la réalité est toute autre. Le directeur général de l’OMS dénonce que certains fabricants aient “privilégié l’approbation réglementaire dans les pays riches, au lieu de soumettre des dossiers complets à l’OMS en vue d’une autorisation d’utilisation d’urgence”, privant ainsi de nombreuses populations vulnérables d’un accès facilité au vaccin. Mais surtout, il pointe du doigt un problème plus flagrant : “Certains pays et certaines entreprises concluent des accords bilatéraux, contournent le mécanisme COVAX [et] font monter les prix”. Le constat de l’échec partiel du mécanisme multilatéral COVAX fait éclater au grand jour le déficit d’autorité de l’OMS.
L’Afrique du Sud a payé ses vaccins 2,5 fois plus cher que les pays européens alors que la crise sanitaire y est dévastatrice. Comment l’expliquer? En fait, les fabricants de médicaments constituent un secteur industriel comme un autre, qui, dans un monde régit par la logique capitaliste, cherche aussi à dégager un profit.
La dérive capitaliste de l’industrie pharmaceutique est une réalité. Et l’absurdité semble parfois atteindre des sommets. Comme un exemple est toujours plus parlant qu’une série de chiffres, faisons un retour six ans en arrière.

Septembre 2015: le médicament Daraprim, luttant contre le VIH et le cancer, voit son prix monter en flèche. En 24 heures, il passe de 13,5$ la dose à 750$, par le simple fait de la spéculation boursière. Son fabricant, une start-up dirigée par Martin Shkreli, est en situation de monopole. L’entreprise a justifié la hausse du prix par la faiblesse de la demande. Le maintien de la fabrication était donc déjà, selon Shkreli, une action très honorable.
Loi du marché, égoïsme et nationalisation
La dénonciation d’un “nationalisme vaccinal” – pour reprendre la formule de Cyril Ramaphosa, président de l’Union africaine – ne semble pourtant pas altérer la logique égoïste des pays du Nord.
En 2021, la loi du marché reste incontournable, même sur des questions de santé et en période de pandémie. Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à la nationalisation de l’industrie pharmaceutique. Éloigner la recherche du profit des problématiques sanitaires pourrait consacrer, pour de vrai, le vaccin comme “bien public”. Nationaliser permettrait en fait de dé-encastrer la santé de la finance, et donc de ré-engager une souveraineté nationale sur les questions sanitaires. Ainsi, une collaboration internationale aurait, semble-t-il, beaucoup plus de sens dans un monde qui se défait de la domination financière.
Lucie Ducos-Taulou
Ajouter un commentaire