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Twitch : démocratisation et diversification de la plateforme de stream

Il est impossible que vous n’ayez jamais entendu parler de Twitch, surtout après sa fulgurante ascension durant les confinements de 2020… Pour mieux comprendre ce qu’on peut décrire comme le phénomène de l’année (aux côtés de l’indétrônable Tik Tok), l’équipe cinéma et technologie de On’ vous propose de décrypter la démocratisation et le succès de la plateforme liés aux effets de tendance, dans un article appuyé par les témoignages d’utilisateurs. 

Création du projet et description

Twitch, c’est quoi ? 

Twitch.tv est une plateforme de diffusion de contenus en direct et en VOD, créée le 6 juin 2007, se présentant comme le successeur de la plateforme de streaming générique Justin.tv. Le site se concentre principalement sur le streaming de jeux vidéo, et se place comme le leader de l’industrie dans la diffusion d’événements et de compétitions eSports. Twitch effectue une progressive diversification depuis les années 2010, qui s’est très nettement renforcée au cours de ces derniers mois. Rachetée par Amazon.com en 2014 pour la modique somme de 970 millions de dollars, l’entreprise compte aujourd’hui un peu plus de 1 000 employés, leurs des bureaux se concentrent à San Francisco. Le site dispose également d’une application mobile disponible sur Android et iOS. Twitch s’impose face à ses principaux concurrents tels que Youtube, Steam ou Facebook Gaming. Au second trimestre 2019, Twitch représente 72.2% du temps de visionnage des plateformes de contenus en direct contre 19,5 % pour Youtube. Cette tendance s’est renforcée avec le confinement et Twitch parvient désormais à rivaliser avec d’autres types de plateforme comme Zoom ou Tik Tok grâce à la diversification de son contenu. 

Comment ça marche

Twitch est composé de deux types d’utilisateurs : les streamers et les viewers. Les streamers et streameuses sont des créateurs de contenu qui produisent et animent des lives ou émissions sur leur chaîne. Ce statut est ouvert et accessible à tous. Néanmoins, certains d’entre eux sont dits “affiliées” ou “partenaires” et sont plus professionnalisés. Ils sont ainsi rémunérés grâce aux publicités qu’ils réalisent sur leur chaîne. Les viewers sont les spectateurs de ces lives. Ils peuvent être de simples “followers” c’est-à-dire des abonnés qui suivent les contenus gratuitement, ou bien des “subscribers”, qui versent un abonnement mensuel de 4,99€, 9,99€ ou 24,99€ et bénéficient d’avantages et d’options supplémentaires. A chaque arrivée d’un nouveau subscriber ou d’un don d’abonnés sur la chaîne d’un streamer ou d’une streameuse, une alerte visuelle et sonore s’affiche lors du live ou de l’émission. Ce système incite les viewers à soutenir financièrement les streamers, qui remercient et mentionnent très souvent le nom du généreux bienfaiteur lors de son live. 

Les statistiques de Twitch

Twitch, un succès affolant

Printemps comme hiver, quelle que soit la saison, Twitch fait des malheurs sur la scène internationale et européenne. De fait, les internautes se font de plus en plus nombreux sur la plateforme de streaming. En 2019, un jeune français regardait ou visionnait un live chaque mois. L’année suivante, l’audience a doublé, selon les données de Médiamétrie.

Le confinement, un soutien pour Twitch

En étant le principal effet de cette hausse d’activité, le confinement a rendu de fiers services à Twitch. Son audience mondiale a connu une croissance de 50% entre mars et avril, allant jusqu’à atteindre près 1,645 milliards d’heures de contenus visionnés, selon les chiffres de StreamElements et Arsenal.gg. 

Crédits : Stream elements et Arsenal.gg

Avec des chiffres aussi bénéfiques pour la plateforme, les fondateurs ont de beaux jours devant eux, même si plusieurs concurrents pointent leur bout du nez. C’est le cas de la plateforme Facebook Gaming qui a elle aussi, su tirer avantage de la situation vécue durant cette année compliquée pour une bonne partie des autres entreprises. Le concurrent de Twitch lancé en 2018, est passé de 111 à 334 millions d’heures de contenus visionnés entre juin 2019 et juin 2020, avec une croissance de 200M en un an.   

En France, c’est le secteur gaming qui domine à la tête du classement avec une équipe e-sport (Solary) et des lives sur le jeu League of Legends (O’gaming LoL). Dans le top 10 des lives, les gamers professionnels et confirmés raflent tout sur leur passage et occupent les cinq premières places du classement de Sullygnome (Gotaga, Sardoche, JLTomy, ZeratoR, KametO). Derrière cette emprise, les rangs se resserrent autour de lives plus divers menés par des youtubeurs comme le célèbre Antoine Daniel. Une nouvelle vague de streamers arrivent et semblent faire de la résistance, à commencer par l’arrivée de Samuel Etienne, journaliste et présentateur de Questions pour un champion. Fort de son succès, son arrivée s’est accompagnée du lancement d’une nouvelle émission par le streamer Etoiles, dont l’événement a réuni près de 220 035 personnes simultanément. 

Démocratisation

Twitch, leader du stream de divertissement ?

2020 aura décidément été une drôle d’année pour le streaming, et notamment à l’échelle française. On aura pu passer d’un live politique de Jean-Luc Mélenchon à un live sur World of Warcraft de la célèbre YouTubeuse beauté EnjoyPhoenix, le tout en un seul clic. Originellement conçu comme un simple site où l’on venait voir des gens retransmettre leurs parties, Twitch est aujourd’hui un véritable leader du monde du divertissement où le jeu vidéo n’est plus qu’une catégorie certes encore très populaire et majoritaire, mais désormais noyée au milieu d’une pléthore d’alternatives qui se sont développées.

Si à ses débuts les streamers qui composaient Twitch pouvaient caricaturalement être associés à de simples joueurs de jeux vidéo qui utilisaient la plateforme comme un passe-temps, cela serait encore plus réducteur de mettre cette description à l’ordre du jour. Émissions en plateau ou en extérieur, concepts toujours plus poussés et moyens de production de plus en plus conséquents, sont tout autant de facteurs qui ont contribué à faire passer au niveau supérieur le contenu proposé sur Twitch.

Les acteurs déjà présents sur Twitch ont su trouver le moyen d’innover, de s’améliorer et de proposer des contenus toujours plus qualitatifs. Si cela a permis à Twitch d’atteindre une notoriété de plus en plus croissante, cela concernait surtout les personnes déjà initiées au monde du jeu vidéo et aux codes d’internet. Là où Twitch signe un renouvellement de son public, c’est grâce à la diversité des nouvelles personnes qui ont eu l’envie spontanée de s’initier à Twitch aussi bien en tant que streamer que simple viewer. 

2020, une année profitable

L’année 2020 a été particulière par bien des aspects, et la crise sanitaire que le monde a traversé et continue toujours de vivre, a eu un impact des plus importants pour Twitch. L’économie se retrouvait à l’arrêt, des millions de gens étaient alors en proie à l’ennui, enfermés entre quatre murs et en recherche de distractions… Alors que le monde était gelé, Internet devenait un refuge des plus attrayants et Twitch en premier lieu. 

Le confinement a donc permis à de nombreuses personnes de découvrir la plateforme, ou d’approfondir l’utilisation qu’ils en avaient déjà. C’est le cas de Clotilde, 22 ans : “Je ‌regardais ‌déjà ‌énormément ‌Twitch‌ ‌avant ‌le ‌confinement ‌Avec ‌le ‌télétravail,‌ ‌je ‌me ‌suis ‌permise ‌de ‌regarder ‌Twitch ‌sur ‌mes ‌heures ‌de ‌travail ‌afin ‌d’avoir ‌un ‌fond ‌sonore ‌chez ‌moi.”‌ Pendant ces longues journées confinées beaucoup se sont essayés à de nouveaux passe-temps, et si l’utilisation « passive » de Twitch en tant que simple spectateur s’est beaucoup démocratisé, l’utilisation proactive en tant que créateur s’est elle aussi beaucoup répandue. 

Des personnalités de tous les horizons sont alors venues enrichir le paysage de Twitch, même si on remarque qu’énormément de sportifs viennent trouver en Twitch un substitut aux activités dont ils étaient alors privés, confinement oblige. Comme pour montrer la proximité entre les mondes du jeu vidéo et du sport, ce sont des athlètes comme Gaël Monfils, Charles Leclerc, Neymar Jr, ou encore Tony Parker qui ont fait part de leurs prouesses de gamer. Cela n’étonnera personne que je dise que Charles Leclerc a brillé lors des courses de F1 2019, jeu de simulation de formule 1 que le monégasque se payait le luxe de jouer sur simulateur, troquant alors les pistes des grands prix contre celles de son salon ! 

Réunis sur Twitch pour une émission, ce casting improbable est composé entre autres de Tony Parker, Antoine Griezmann, Gaël Monfils, mais aussi des figures de Twitch et de YouTube comme Gotaga et Squeezie. Crédits: chaîne twitch de Gotaga

Cependant, pas besoin d’être une personnalité reconnue pour se lancer sur Twitch, un ordinateur et une connexion internet suffisent. Cédric, 29 ans et doctorant, avait découvert la plateforme pendant le premier confinement, et s’est lui aussi essayé au stream : “Je ne suis pas un viewer « normal ». Avec le confinement, je me suis retrouvé à diffuser sur Twitch alors même que je n’en étais pas un utilisateur régulier auparavant. J’ai participé à la retransmission de messes alors qu’il était impossible pour les croyants de se rendre sur les lieux de culte.” Car oui, Twitch utilise pleinement son rôle de média en allant jusqu’à permettre de retransmettre des événements de culte ou des meetings politiques comme ceux de Donald Trump (avant que son compte ne se fasse suspendre). Le pouvoir médiatique de Twitch commence alors à être perçu par les médias traditionnels et beaucoup s’y sont essayés… et pour l’instant encore trop peu avec succès.

La démocratisation de Twitch passe aussi parfois par la validation des médias qui étaient là avant lui. Ils sembleraient que de nombreux médias se soient laissés séduire par cette plateforme au public si jeune, que les médias traditionnels – parfois si vieillissants – ont laissé s’échapper au fil des années. C’est sans grande surprise que l’on voit par exemple des médias comme l’Équipe, animer récemment une émission sur l’Esport, se trouvant donc à son aise sur Twitch où le public en est fin amateur. D’autres rédactions comme celles de RMC ou du Figaro se sont également prêtées à l’exercice. La dernière en date est celle de France Télévisions, qui a lancé le 22 janvier 2021 une émission hebdomadaire de questions-réponses portant sur la crise sanitaire. La naissance de cette émission a notamment été permise par le fait que le journaliste et présentateur Samuel Etienne était déjà parti en éclaireur sur la plateforme depuis plusieurs mois, participant à des lives ici et là avant de lancer sa propre chaîne en décembre 2020. 

La consommation des contenus de la plateforme évolue et se ritualise au rythme des rendez-vous quotidiens, hebdomadaires ou mensuels comme ce que l’on peut retrouver dans les grilles de programme TV : “J’utilise Twitch comme je pouvais utiliser la télévision auparavant, affirme Victor, entre 2 et 3 heures par jour, selon les événements, émissions ou compétitions prévus.”

Les effets de tendance et les “special events”

Un nouveau “média” pour tous les publics

Depuis quelques années, nous avons pu assister aux lancements de plusieurs applications de contenus vidéos comme Vine (abandonnée en 2015) ou plus récemment Tik Tok ayant racheté et fusionné avec Musical.ly. Leur succès produit à chaque fois l’effet d’une explosion mondiale et même si la cible reste principalement les jeunes ados, leur utilisation s’étend au reste de la population par effet de mode. Plus que des simples outils de divertissement, l’exemple du succès de ces applications prouve bien l’effet d’expansion international et intergénérationnel. Pour revenir au sujet du stream, plusieurs lancements de jeux-vidéos ont également eu l’effet d’incontournables phénomènes. Parmi ces derniers buzz, on ne peut pas passer à côté du célébrissime Fortnite, du nouvel Animal Crossing ou encore de Fall Guys. Cyberpunk 2077 est également l’un des derniers jeux ayant explosé les records sur Steam et Twitch dès son lancement, aux côtés d’Assassin’s Creed Valhalla, The Last of Us Part II, Among Us, ou encore Flight Simulator

Mais outre ces jeux-vidéos, Twitch sait aussi créer des effets de tendance comme le prouve cette expérience organisée sous la forme d’un jeu concours baptisé “Bot Battle”. Cette expérience s’est ensuite suivie d’un live diffusé en novembre 2020 pendant lequel deux chatbots (alimentés par une intelligence artificielle) ont pu échanger… Un événement quelque peu atypique suivi par des internautes chargés de voter pour le bot qui semblait le plus « humain » ! Outre le côté avant-gardiste et original du jeu, l’objectif semble être encore plus ambitieux, celui de façonner une plateforme futuriste qui souhaite s’emparer d’une audience toujours plus nombreuse et réactive aux nouveautés proposées ! 

Même si tous ces special events qu’on peut considérer comme de véritables coups de pub marquent les esprits de par leur excentricité, Twitch propose aussi des streams caritatifs comme le “Le Stream contre la Faim” ou d’autres nombreux marathons comme les éditions du très célèbre “Z Event” dont la dernière édition a permis de recueillir plus de 5,7 millions d’euros pour Amnesty International ! Des projets humanitaires auxquels participent de grands streamers professionnels qui, au-delà de leur évidente utilité publique, servent aussi à diffuser une image positive auprès des plus jeunes viewers. Allier la compétition d’e-sport à l’aide humanitaire semble bien offrir un message d’espoir et d’entraide fort pour les générations futures. 

Néanmoins, pour donner une perspective plus nuancée de cette partie, les effets de tendance sont par définition éphémères. Même si le business model de la plateforme ne semble pas être uniquement basé sur la sortie de nouveaux jeux-vidéos, la prospérité de la plateforme repose sur son implantation durable auprès des utilisateurs… en attendant l’essor de nouvelles technologies et fonctionnalités de ses rivaux. Si la résonance interplanétaire de certaines applications ou de plateformes ont connu un très large succès à un moment donné, leur effondrement a été aussi, si ce n’est plus rapide. Nous pouvons donner l’exemple du remplacement de Dailymotion par Youtube, qui illustre bien l’inclination et le déclin d’une plateforme pourtant bien installée. Le remplacement dépend évidemment de la concurrence, et ces règles s’appliquent aussi bien auprès d’applications mobiles, que de plateformes VOD, de logiciels de visioconférence ou d’entreprises sur le marché financier… Car il ne faut pas oublier que Twitch est une marque d’Amazon, au même titre que sa plateforme “Prime Video” par exemple, et que ce géant détenu par Jeff Bezos fait partie du célèbre groupe du GAFA/M (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). La dissolution de Twitch n’aurait donc pas le même effet au vu de la capitalisation d’Amazon estimée à 882 milliards de dollars (au 30 octobre 2019), faisant de cette entreprise la plus grosse société cotée du monde ! Twitch a tout de même généré pas moins de 1,7 milliard de dollars de chiffre d’affaires grâce, en grande partie… aux revenus publicitaires ! Si le business model de Twitch vous intéresse et que vous souhaitez creuser plus en détail à ce sujet, vous pouvez retrouver des articles dédiés à ce sujet dont celui de Product Mint. Mais globalement : les revenus proviennent des abonnements premium et de sa monnaie numérique, de la publicité vidéo comme nous l’avons évoqué et de la vente de marchandises. Cette fructueuse entreprise semble donc avoir profité d’un immense tremplin durant le confinement pour développer davantage ses futures ambitions ainsi que son plan financier plutôt  bien rôdé… Il sera particulièrement intéressant de suivre son développement dans les prochaines années pour savoir si leur projet aura les capacités de se pérenniser durant cette nouvelle décennie !  

L’essor d’une forte communauté

Selon Clotilde, qui vient tout juste de terminer ses études, il existe une véritable culture à part entière et un attachement affectif qui s’est instauré sur la plateforme dans l’ensemble des communautés : “Au départ je regardais Twitch pour voir des joueurs professionnels sur les jeux auxquels je jouais, mais très vite j’ai apprécié les personnalités de certains streamers. Depuis, je regarde leurs streams peu importe le jeu sur lequel ils jouent (ou même s’ils ne jouent pas du tout). Et avec mes amis, on suit souvent les mêmes streams, on les regarde et commente ensemble. On a une vraie culture Twitch, avec les mêmes références et les mêmes délires.” De ce fait, le lien affectif prévaut et le viewer développe un lien de fidélité. Clotilde ajoutera aussi que Twitch lui a permis de maintenir un lien social, “d’avoir des rendez-vous hebdomadaires pour voir des émissions qui me plaisent, de voir des gens à l’écran ou dans le chat et donc ne pas ressentir un sentiment de solitude.” Comme une sorte de grande famille qui se divertit et se soutient même à l’autre bout du monde pendant les périodes les plus dures, Twitch a su créer un espace de réconfort où chacun peut s’échapper de son quotidien. ”Communauté, live, partage” c’est aussi avec ces mots que Victor, alternant en communication digitale de 24 ans décrit la plateforme, ce qui soutient cette idée de lien étroit et solidaire. 

Article rédigé par : Bruno Esteban Garay, Cynthia Zantout, Céline Surget, Thomas Faidherbe

La rédaction

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