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[Critique] Sound of metal, échec d’une quête de sens

Parmi les films ayant voyagé à travers les rares festivals survivants de la saison 2020, quel paradoxe d’apprendre que le film faisant le plus de bruit est celui qui parle de surdité ! Après avoir généré l’engouement au TIFF (Toronto) et à Deauville, Sound of silence dispose de toutes les conditions pour être la perle indépendante attendue pour le début d’année. Avec un Riz Ahmed flamboyant pressenti pour la nomination aux Oscars, nous nous devions de décortiquer le phénomène de ce début d’année. 

«La forme, c’est le fond qui remonte à la surface»

Ces quelques mots attribués à Victor Hugo illustrent tout l’enjeu de l’histoire qui nous est proposée. Le concert de rock qui ouvre le film est très parlant à cet égard. Le personnage de Ruben est montré de sorte à le comprendre immédiatement : vie de rockeur, salle moite, public déchaîné… Il est obligé de sortir de la salle à cause d’une surdité qui commence à l’atteindre. Le fond (l’élément déclencheur du récit) embrasse totalement la forme (l’expérience auditive du spectateur) : on assiste à un réel dérèglement de l’image et du son. C’est sur l’idée de cette expérience que se fondera l’expérience de Sound of metal, jusqu’à en perdre de vue l’intérêt même de travailler à ce point le son du film. 

Il serait malhonnête de dire que le projet n’offre pas une expérience auditive unique, élaborée pour être vécue en salle. Seulement, une fois le décalage établi avec efficacité en ouverture du film et les enjeux posés, le travail sonore parasite le reste de l’œuvre, au point de mettre en évidence la faiblesse du projet : son scénario. Le réalisateur (Darius Marder), montre donc l’arrivée de cet ancien rockeur dans une communauté sourde, avec l’ambition de retrouver sa vie d’avant. La caméra réussit à ne pas tomber dans le piège du scénario usé de la personne opposée à une communauté, s’y intégrant peu à peu jusqu’à la défendre dans un troisième acte. Encore mieux : le parti pris est de sous-titrer son œuvre de sorte à être également perçue par la communauté malentendante. L’irréversibilité de l’ouïe regagnant les projets du personnage principal, nous assistons alors à une quête perpétuelle de retrouver la vie d’avant… touchante par la détermination insufflée, mais limitée par la pauvreté du scénario. 

Nous retiendrons bien entendu de superbes scènes dans lesquelles on semble retrouver la fusion du fond et de la forme. Parmi ces scènes, on peut parler de celle du jeu sur le toboggan en métal avec un enfant, offrant le moyen de retrouver une communication sonore (une métaphore du « métal » en tant que style de musique,  se voyant remplacé par le métal en tant que matière vibratoire. Ou encore la fête chez sa petite-amie, vécue avec l’implant supposé redonner l’ouïe à Ruben : le dysfonctionnement du procès technologique mettant en avant le décalage évident entre les deux personnages. Nos regrets se portent donc sur le scénario, manquant de geste, d’audace, de radicalisation dans la mise en scène du mal-être éprouvé par le personnage de Riz Ahmed. 

Une quête de sens manquée 

La prestation de Riz Ahmed qui crève l’écran (particulièrement en introduction, lorsque sa chevelure est traversée par les lumières scéniques) est la première à souffrir de ce scénario quelque peu prévisible. La quête de sens sensoriel est doublée d’une quête de sens personnel dont on regrette de ne pas en savoir plus. On s’attache à ce musicien malheureux, dont le handicap l’empêche de jouir de son unique passion. Mais nous regrettons surtout de ne pas avoir vu sa vie d’avant, qui aurait donné du sens et de la gravité à cette quête que l’on s’efforce à nous montrer durant le film. 

L’apprentissage de la langue des signes et la communication avec une riche diversité de personnes perdent de leur enjeu, tout comme celui de l’intégration dans une nouvelle communauté. Ce choix de réalisation permet d’appuyer sur l’envie obsessionnelle du protagoniste de retrouver sa vie passée, le mode de communication bruyant et musical… mais à courir après ce qu’on ne possède plus, ce qu’on n’a pas vu, cela laisse en bouche le goût amer d’une vie trouée, dont on aurait vu seulement les échecs. 

/!\ Spoiler /!\ Bien que cela offre au spectateur la possibilité de supposer une fin paisible pour le personnage, acceptant de retirer son dispositif médical et de vivre et communiquer comme le font les membres de la communauté malentendante, il y a trop d’éléments manquants pour y voir une fin intéressante. Pourquoi soudainement accepter cet handicap? Pourquoi abandonner ses rêves? Qu’y avait-il d’intéressant dans cette communauté rendant la décision acceptable ? 

En conclusion, Sound of metal est un film que l’on juge avec intransigeance car il possède toutes les qualités pour être un grand film sur la quête de soi. Le jeu perpétuel sur le fond et la forme en séduiront certains, car le travail sonore fonctionne parfaitement avec le jeu de Riz Ahmed, bien qu’il puisse laisser de côté les spectateurs en quête d’une histoire et d’une trajectoire plus profonde. Quoi qu’il en soit, l’expérience audiovisuelle de Sound of metal reste une proposition de cinéma rafraichissante, et nous l’espérons, le début d’une riche carrière pour le réalisateur qu’on sait capable du meilleur. 

Nicolas Moreno 

Nicolas Moreno

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