En janvier 2019, la ville de Grande-Synthe (Nord) avait saisi le Conseil d’Etat sur la question des réductions de gaz à effet de serre. En effet, commune littorale, elle interpelle la Haute Autorité au regard du refus du gouvernement de prendre des mesures supplémentaires visant à réduire ces émissions. La requête est alors jugée recevable par la juridiction administrative.
Pour la première fois en France et dans la lignée de l’élévation mondiale des consciences quant à la question climatique, la justice se positionne sur la responsabilité de l’Etat. Dans un arrêt du 19 novembre 2020, le pouvoir judiciaire enjoint le gouvernement à agir. Retour sur ce tournant juridique majeur, qui laisse 3 mois au gouvernement pour faire le « choix du vert ».
Une politique sur le climat au coeur des préoccupations associatives – mais pas que
S’il faut saluer cette décision pour l’opportunité de changement donnée au gouvernement sur la question du réchauffement climatique, il faut également souligner son caractère – pour l’instant – isolé dans le paysage juridique français. En effet, en mars 2019, des associations et ONG comme OXFAM, Greenpeace, Notre Affaire à tous ou bien encore la Fondation Nicolas Hulot avaient déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris pour « carence fautive » de l’Etat en la matière. La carence est une notion existante en droit. Par un arrêt de juillet 2019, la juridiction de première instance reconnait dans le cadre d’une affaire de pollution de l’air ayant entrainé des pathologies respiratoires que : « l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ce qu’il n’a pas pris, pour la région Ile-de-France, un plan de protection de l’atmosphère susceptible de réduire, le plus rapidement possible, les valeurs de dioxyde d’azote et de particules fines ».
Dans un communiqué de presse datant du 14 mars 2019, les dépositaires du recours de mars 2019 évoquent les chiffres suivant de nature à entraîner – ou non – la carence fautive de l’Etat en matière climatique, s’appuyant sur les travaux du GIEC et sur la législation en vigueur :
« Alors que la loi Grenelle I de 2009 – et par extension, la loi Grenelle II de 2010 – prévoyait -20% d’émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports par rapport à 1990, les émissions 2017 de ce secteurdépassent de 12,4% les niveaux de 1990. »
Si pour l’instant l’audience n’a pas encore eu lieu, on peut espérer que la décision relative à la ville de Grande-Synthe impulse un nouveau souffle juridique au combat des activistes et citoyens soucieux de cette question. Ces associations interviennent également dans le recours porté par la ville de Grande-Synthe. C’est en tout cas la position défendue par les organisations intervenantes dans les deux dossiers :
« La décision du Conseil d’État rebat les cartes de la politique climatique de la France. En effet, en affirmant le caractère contraignant des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre contenus dans la loi, la plus haute juridiction administrative met l’État face à ses responsabilités dans la crise climatique. C’est une véritable révolution en droit : les lois programmatiques sur le climat ont jusqu’ici été considérées par les gouvernements et parlements successifs comme de vagues promesses. Elles font désormais peser sur l’État une obligation de résultat, et l’engagent à mettre en œuvre des mesures concrètes et efficaces pour atteindre ces objectifs. » – article du 19 novembre 2020, par Clotilde Baudouin, disponible sur le site de l’ONG Notre Affaire à Tous.
Si la séparation des pouvoirs, entre l’exécutif le législatif et le judiciaire est constitutionnellement garantie, le Conseil d’État n’entend pas toucher à cet équilibre : « le fait, pour le pouvoir exécutif, de s’abstenir de soumettre un projet de loi au Parlement, touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et échappe, par là-même, à la compétence de la juridiction administrative ». La juridiction administrative a rejeté, dans la décision relative à la ville de Grande-Synthe, les demandes d’adoption de dispositions législatives. Mais si la justice refuse – à bon droit – d’outrepasser ses pouvoirs, il n’en reste pas moins que cette décision enjoint le gouvernement à respecter ses engagements climatiques.
Vers un changement dans la volonté (juridique) des pays européens

Cette décision du Conseil d’Etat s’inscrit dans la lignée de l’arrêt de la Cour Suprême des Pays-Bas relative à l’affaire Urgenda. La fondation néerlandaise Urgenda avait saisi le tribunal de première instance de la Haye afin que l’Etat respecte les obligations en matière de droit international du climat. On pourrait citer notamment le respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et les principes d’équité, de précaution et de durabilité énoncés dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ou bien encore l’Accord de Paris de 2015. Ainsi le 20 décembre 2019, les juges néerlandais avaient imposé au gouvernement de respecter un objectif de réduction des gaz à effet de serre de 25% d’ici fin 2020.
Tous ces instruments juridiques encadrent le « droit de l’environnement ». Dans la décision française du Conseil d’Etat, on notera que l’autorité justifie sa position par rapport au CCNUCC et l’Accord de Paris à l’instar de la juridiction néerlandaise : « Le Conseil d’Etat relève d’abord que la France s’est engagée, pour mettre en œuvre l’accord de Paris, à adopter une trajectoire de réduction des émissions permettant de parvenir, en 2030, à une baisse de 40 % par rapport à leur niveau de 1990. »
Sans pourtant affirmer le caractère directement contraignant de ces instruments juridiques internationaux, la juridiction fait un grand pas en avant. Ce sont les instruments européens et nationaux qui vont être « obligatoires » pour l’Etat français. Ces derniers devant être interprétés au regard des premiers. S’appuyant sur des données scientifiques issues du Haut conseil pour le Climat, organe indépendant français créé en 2019, et celles du GIEC, les juges soulignent l’aggravation des risques climatiques. Le gouvernement a 3 mois à partir de la date de la décision pour démontrer le respect des trajectoires fixées. Sans quoi, la juridiction pourra prendre des mesures supplémentaires afin qu’il les respecte.
Les préoccupations environnementales liées à l’émission de gaz à effet de serre ne sont pas les seules qui intéressent désormais le Conseil d’Etat. Ce sont ces mêmes juges qui déjà en juillet avaient prononcé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard contre l’Etat français. L’objectif ? Pousser le gouvernement à mettre en place une politique de réduction de la pollution de l’air. Cette politique apparait comme nécessaire et urgente, au regard d’une étude menée en 2016 par Santé publique France qui estimait à 48.000 le nombre de décès prématurés liés à cette dégradation :
« Par ces travaux, Santé Publique France confirme que la pollution atmosphérique a des conséquences importantes en terme de santé publique en France. Ils montrent que la mise en place d’actions visant à réduire durablement la pollution atmosphérique permettrait d’améliorer de façon considérable la santé et la qualité de vie de la population. Le programme de surveillance air et santé de Santé Publique France sera élargi à l’étude des maladies en lien avec la pollution, comme les pathologies cardio-vasculaires, le cancer et l’asthme. »
Un combat mené par l’Europe elle-même ?

La question climatique semble s’insinuer dans toutes les strates de notre société et plus encore. Le tribunal de l’Union Européenne avait déclaré irrecevable le premier recours en justice climatique l’année dernière. C’est la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui prend position, en acceptant la plainte de 6 portugais qui poursuivent 33 pays dont la France, pour « avoir échoué à faire leur part afin d’éviter une catastrophe climatique ».
En effet, les chaleurs extrêmes qui frappent le pays provoquent des incendies qui ravagent les forêts. Dans la lignée de l’action intentée par 800 enfants auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, représentée par Greta Thunberg, la juridiction européenne aura à juger pour la première fois de cette question climatique.
Les mouvements environnementaux et l’ouverture de procès climatiques suffiront-ils à faire comprendre à nos dirigeants que la protection de la planète n’est plus un enjeu de « demain » mais bien d’aujourd’hui ?
photo de bannière : Source : Olivier Lanrivain / Photopqr / presse ocean/ MaxPPP
Camille Fonkoua
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