Photo issue de la manifestation du 27/11/2020. Cette « marche des libertés » visait à dénoncer la Loi Sécurité Globale, son article 24 et à défendre les libertés fondamentales – crédits : Félix Mital.
On parle beaucoup dans les médias de la “loi sécurité globale”, mais surtout de l’article 24, qui porterait atteinte à la liberté de la presse et au droit à l’information. Des journalistes de tous bords politiques mais aussi des avocats, magistrats, dessinateurs, artistes ou encore des enseignants se mobilisent contre cette loi.
Ce projet est porté par le groupe parlementaire LREM, formation politique du président Emmanuel Macron et majoritaire à l’Assemblée Nationale. La proposition de loi vise à encadrer la politique de sécurité de la Nation, notamment dans le cadre de la lutte anti-terroriste, mais pas que. Votée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 24 novembre dernier, au delà de l’article 24, elle renferme un certain nombre d’articles pouvant constituer des atteintes notables à nos libertés fondamentales. Faisons le point.
L’article 22, l’utilisation des drones en roue libre ?
Bien que moins abordé par la presse, cet article 22 pose un nombre important de questions, notamment quant au respect du droit. Il énonce la chose suivante : « Art. L. 242‑2. – Lorsqu’elles sont mises en œuvre sur la voie publique, les opérations mentionnées aux articles L. 242‑5 et L. 242‑6 sont réalisées de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. ». À cette lecture, on peut penser que l’atteinte à la vie privée ne peut être constituée. Sauf que.
Le doute surgit plus loin, à l’article L.242-6 du Code de la sécurité intérieure, qui dispose la chose suivante : « Dans l’exercice de leurs missions de prévention, de protection et de lutte contre les risques de sécurité civile, de protection des personnes et des biens et de secours d’urgence, les services d’incendie et de secours, les formations militaires de la sécurité civile, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon des marins-pompiers de Marseille peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images…. ». Ici, on doute des garanties de protection de la vie privée. Les modifications inscrites aux articles L.242-1 à L.242-6 du Code de sécurité intérieure restent finalement floues. On parle dans un premier temps des opérations menées dans la rue, pour ensuite parler d’opérations – par ailleurs menées par d’autres acteurs que la police – en tous lieux.
Ces inquiétudes sur l’article 22 sont partagées par la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui estime dans un avis daté du 5 novembre: « le recours aux drones comme outil de surveillance ne présente pas les garanties suffisantes pour préserver la vie privée […] Les drones permettent une surveillance très étendue et particulièrement intrusive, contribuant à la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel ». L’opposition à la majorité parlementaire LREM, notamment les députés de la France Insoumise, ont également soulevé durant les débats à l’Assemblée Nationale, la question de l’intelligence artificielle.
Sans tomber dans la logique orwellienne du « Big Brother is Watching You », cet article 22 rend possibles (mais non automatiques) des dérives juridiques.
Un drone survolant – illégalement – la manifestation du 27/11/2020. Crédits : Félix Mital
L’article 25, extension du port d’armes et dangers multiples ?
L’article 25 de la loi « sécurité globale » revient sur la question de l’extension du port d’armes pour les gendarmes et policiers. Le texte leur permet alors « de porter [leur] arme de service » notamment dans des « établissements recevant du public ». Jusqu’ici, les établissements privés pouvaient conditionner le port d’armes de service dans leur enceinte. Or, l’introduction de cet article limite désormais la capacité d’un propriétaire (restaurant, bar, boîte de nuit…) à savoir qui entre armé dans son établissement.
Au-delà de ça, la question des suicides dans la police préoccupe divers députés à vaste spectre politique. Les chiffres parlent d’eux même : 54 suicides dans la police en 2019. Et combien avec une arme de service ? Difficile de donner des chiffres précis en la matière. De nombreux et tristes faits divers en font d’ailleurs état :
« Valenciennes : un gendarme de 38 ans se suicide avec son arme de service Le gendarme s’est donné la mort dans son logement de service dans la nuit de vendredi à samedi. » – Le Parisien, 28 janvier 2020.
« Un policier de 20 ans a mis fin à ses jours avec son arme de service ce lundi soir dans le commissariat de Noailles à Marseille. Il venait de réussir le concours de gardien de la paix. » – France Bleu, 30 juin 2020.
La fonctionnaire de 28 ans s’est donnée la mort à son domicile de Saint-Germain-en-Laye. Il s’agit du vingt-septième suicide dans la police nationale depuis le début de l’année. » – Ouest France, 7 septembre 2020.
Le fameux article 24 : interdiction du droit de filmer la police, vraiment ?
Pancarte représentant Alexandre Benalla flouté à la manifestation du 27/11/2020 – crédits : Félix Mital
Les militants de tous bords ont revendiqué une interdiction de filmer les policiers dans l’exercice de leur fonction, au titre de l’article 24. Cependant, la rédaction de l’article 24 le sous-entend plus qu’il ne le dit clairement. En ce sens il dispose : « Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police. »
La mention du respect du droit d’informer, tant dans le cadre de la liberté de la presse que dans celui détenu par tout citoyen ne saurait être suffisant pour écarter l’atteinte possible à ce même droit. En droit pénal, la caractérisation de l’infraction repose sur un élément matériel et sur un élément moral. Ici, l’élément matériel reposerait sur le fait de diffuser, l’élément moral serait contenu dans « le but manifeste qu’il soit porté atteinte à ». Mais dans le cadre d’une opération de police, qui va juger du but manifeste si ce n’est le policier qui se sent agressé ? On reste dans la logique de l’outrage à un agent dépositaire de l’autorité publique. C’est le policier qui « juge » à l’instant T. Le danger est donc que citoyens et journalistes s’auto-censurent de peur de représailles, et que nombre de violences illégitimes de la police passent inaperçues.
Le texte est vivement critiqué par de nombreuses institutions, telle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui dénonce dans son avis du 26 novembre dernier « une nouvelle étape de la dérive sécuritaire en France » qui « porte atteinte à de nombreux droits fondamentaux ».
Le but recherché et défendu par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avec cet article 24 repose sur la protection de la vie privée des agents de police et des militaires de gendarmerie. Or, la multiplication des ressources législatives en la matière apparaît comme inutile, au regard de l’article 226-1 du Code Pénal, qui dispose : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci. »
Filmer un policier dans l’exercice de ses fonctions ne relève pas d’une atteinte à la vie privée. En ce sens, le ministère de l’intérieur avait été clair, dans une circulaire datant du 23 décembre 2008, précisant : « Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image […] La liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction ». Le propos, déjà à l’époque, est limpide. On ne peut porter atteinte à la « dignité » des policiers par le droit à l’image.
C’est l’évolution et la multiplication des agressions envers ces agents qui poussent aujourd’hui le ministère à changer de doctrine. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui se base sur les données recensées par les services du ministère de l’intérieur, décompte 10 790 agents blessés « en mission » en 2018.
Le problème posé par l’article 24 apparaît comme étant complexe. Si le policier confisque l’appareil diffuseur (c’est notamment le cas d’un téléphone en Live Instagram / Facebook par exemple) – car c’est le moyen de l’infraction – et place la personne qui filmait en garde à vue, celle-ci sera privée de liberté. Alors bien sûr, au terme de la garde à vue, le procureur peut décider de ne pas poursuivre cette personne ou en tout cas, pas sur le fondement de l’article 24. Mais sortir libre d’une garde à vue en tant que journaliste ou en tant que citoyen, est-ce bien une consolation suffisante face à une perte – même temporaire – de nos droits fondamentaux à l’information et de la liberté de presse ?
Camille Fonkoua,
étudiante en Droit à l’Université de Paris
source de l’image de bannière : Félix Mital
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