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Pépite du FIFIB : L’Homme qui avait vendu sa peau de Kaouther Ben Hania


Le temps d’un week-end, On’ s’est rendu à la neuvième édition du rendez-vous automnale des cinéphiles bordelais : le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Retour sur l’un des coups de cœur de la sélection Hors Compétition : L’Homme qui avait vendu sa peau, quatrième long-métrage de la très talentueuse réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania (Le Challat de Tunis, Zaineb n’aime pas la neige, La belle et la meute). 

Synopsis : Sam Ali, jeune syrien, fuit son pays pour le Liban afin d’échapper à la guerre. Pour se rendre en Europe et vivre avec Abeer, celle qu’il aime, il accepte de se faire tatouer le dos par l’artiste contemporain le plus sulfureux au monde.


La liberté de l’art face à l’exploitation humaine, corporelle ?


De longs couloirs aux murs blancs éclatants occupent les premières secondes de L’Homme qui avait vendu sa peau. Un être vêtu de noir, de son costume jusqu’à ses ongles vernis et son regard perçant les longent, comme habité par ces lieux, s’approchant scrupuleusement de son œuvre. Jeffrey Godefroi, artiste à la reconnaissance mondiale, est littéralement à l’origine d’une création vivante. Au nom de son art, il use d’un réfugié syrien dont il ne connaît presque rien si ce n’est son impossibilité de passer les frontières européennes et sa forte volonté de rejoindre Abeer, qu’il aime éperdument, et qui est désormais mariée à un homme d’affaires syrien à Bruxelles. S’il lui vend son dos, Jeffrey le fera voyager au gré de ses diverses expositions. En se servant alors du drame de la vie de Sam, il entend dénoncer la façon dont les marchandises circulent bien plus librement et facilement que les Hommes eux-mêmes. Son personnage est inspiré d’un véritable plasticien belge, Wim Delvoye, parfois controversé ou admiré, qui a tatoué et vendu en 2008 le dos d’un trentenaire Suisse du nom de Tim Steiner pour 150 000 euros.


C’est après la signature d’un invraisemblable contrat mené par une assistante glaciale (Monica Belluci, absolument fantastique), que débute une série de contestations qui se situera au cœur du récit. S’opposent alors ceux promouvant une certaine liberté artistique et soutenant cette œuvre – c’est-à-dire le dos de Sam – en l’admirant, le jugeant, en oubliant presque son vivant, face à ceux dénonçant l’exploitation et le trafic humain qui y est lié : et plus largement encore, la banalisation d’une situation où un homme n’est pas en droit de vivre dans son propre pays. On peut alors souligner l’un des très ambivalents et impensables côtés de l’art : celui qui attribuerait seulement de la valeur à ce qui peut être rentable, en omettant une certaine humanité… À moins que ça soit pour certains une façon de repousser l’art et ses limites.



Par-dessus tout, un désir de liberté : l’émancipation par le corps 


Mais ce que Kaouther Ben Hania interroge au-delà de ces oppositions, est plus complexe encore. Il s’agit de la notion de dignité que tout individu devrait mériter, quel que soit son origine ethnique ou sa condition sociale, ici celle de Sam, sans cesse remise en cause et merveilleusement bien racontée. De ce dos tatoué semblant lui ôter le contrôle de son propre corps alors confronté à une multitude d’individus tentant de se l’approprier sans avoir conscience de l’incroyable histoire qui l’a construit, se dessine finalement le portrait d’un homme dont la liberté devient extraordinairement puissante : car Sam à en lui une différence conséquente par rapport aux œuvres encadrées composant les musées dans lesquels il est, lui aussi, exposé : il est incontrôlable. Et chaque matin, quand il traverse seul les salles encore impeuplées pour se rendre à son emplacement, c’est finalement à lui, que le musée appartient. Il a, à côté d’une partie de cette peau qu’il ne peut désormais plus saisir, tout un corps, un cœur, qui bat. Et il ne cesse de le faire entendre.

L’Homme qui avait vendu sa peau est d’une force troublante et d’une inventivité folle. Yahya Mahayni (Sam), présent à la projection et lauréat du Prix Orizzonti du Meilleur Acteur à la dernière Mostra de Venise, porte ce film divinement, toujours avec élégance. Entre la finesse de l’humour de son personnage, la beauté de sa sensibilité, et son admirable amour pour Abeer. Pour sûr, il faut continuer de suivre Kaouther Ben Hania. Et l’applaudir.

* Sortie le 18 décembre 2020. Produit par Tanit Films /  Distribué par Bac Films.

Anna Lodeho 

La rédaction

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