Projet réformiste et ambitieux, l’extension du droit de vote aux lycéens promet d’être semée d’embûches. Le gouvernement a t-il les moyens et la volonté de concrétiser un tel dessein ?
« Il faut leur faire confiance, […] Il est temps que les jeunes soient considérés dans le débat public », lançait-on lors de la conférence de presse qui se tenait dans les locaux de la Fédération des Conseils de Parents d’élèves (FCPE), mercredi 30 septembre. Celle-ci avait pour vocation de promouvoir une proposition de loi portée par le groupe parlementaire Ecologie Démocratie Solidarité (EDS) concernant le droit de vote à 16 ans. Parmi les soutiens de cette initiative, l’Union Nationale Lycéenne (UNL), l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), le parti politique Allons Enfants ou encore la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE) et l’association Cité Défense, organisations toutes présentes à la conférence et plaidant dans une ambiance consensuelle pour l’extension du droit de vote.
« Il faut arrêter ces débats d’hypocrites » scandait le co-président de la FCPE Rodrigo Arenas avant d’ajouter que « les lycéens portent des solutions qui méritent d’être entendues dans l’hémicycle ». Tel est l’enjeu d’une telle proposition : donner la voix aux jeunes pour qu’ils s’expriment sur l’avenir du pays mais également remettre la jeunesse au cœur des préoccupations de notre société. Alors que « la génération Covid » voit ses ambitions brisées et ses rêves révisés, il est urgent d’intégrer les jeunes à la vie citoyenne. Comme le rappelle la députée qui porte le texte, Paula Forteza (EDS), « la crise sanitaire a des implications économiques et sanitaires » et dans ce contexte, le gouvernement ne peut faire l’économie de la jeunesse. « On ne peut construire ce monde d’après sans elle, sans cette jeunesse qui s’exprime au sein des institutions » ; le ton est teinté d’urgence. Ainsi, cette mesure enverrait, en toute logique, un signal constructif à la jeunesse, celle qui s’est s’est déjà largement mobilisée dans les marches pour les femmes, pour le climat, démontrant qu’elle est prête à voter.
Toutefois, des interrogations subsistent et nombre sont les adversaires de cette proposition. En outre, y a t-il réellement une « politisation automatique des jeunes » ? Comment développer un intérêt accru pour l’exercice de la citoyenneté chez les jeunes quand les moyens manquent ? Est-ce une solution à leur abstention dès 18 ans ? Sujet à nombre de débats, le projet est en tout cas remis à l’ordre du jour.
De nombreuses propositions trop peu écoutées
Avec leur proposition de loi, le groupe EDS veut accompagner le droit de vote à 16 ans d’un « renforcement de l’éducation citoyenne au lycée ». Ils proposent par ailleurs d’organiser « des débâts dans les cours de philosophie ou d’histoire, et de refonder les cours d’éducation morale et civique (EMC)». L’idée est là : réformer la pédagogie pour développer chez les adolescents un intérêt pour l’exercice de la citoyenneté, ses enjeux, ses débats.
La formation complète d’un citoyen devrait donc commencer dès le plus jeune âge et embrasser de nombreuses thématiques, du droit à la philosophie, afin de cerner avec précision les enjeux des rendez-vous citoyens. Le programme de droit constitutionnel enseigné en première année d’études supérieures juridiques devrait être un enseignement acquis de tous avant d’obtenir le droit de vote. Cette discipline serait la base minimale nécessaire à la compréhension du fonctionnement de la démocratie française: mode de scrutin, rôle des institutions, des élus, droits fondamentaux, principes fondateurs… En effet, la compréhension du système politique actuel et des organisations politiques est indispensable pour abaisser l’âge du droit de vote.
Or, à l’heure actuelle, les questions démocratique et institutionnelle sont largement absentes des programmes au lycée et les cours d’EMC laissent la place à des rattrapages d’heures d’Histoire-Géographie pour que le programme soit terminé avant la fin de l’année. Rodrigo Arenas a alors souligné avec justesse le manque d’éducation civique à l’école. L’impératif d’une refonte de l’éducation citoyenne avant le bac faisait consensus dans la salle.
Le troisième volet du projet de loi va dans ce sens et entend former les professeurs, encourager la participation d’intervenants extérieurs, mettre en place des espaces de dialogue dans les cours, pour garantir une véritable formation à la citoyenneté pour tous les lycéens.
Un besoin impérieux de réformes mais avec quels moyens ?
Ces propositions, malgré leur bonne volonté, ne peuvent se réaliser sans une réforme profonde et sur le long terme de l’éducation nationale. Et pour ce faire, de grands moyens doivent être mis à disposition. Une question se pose alors : où trouver les financements nécessaires à une modification des méthodes d’apprentissage, voire à une réforme structurelle de l’enseignement secondaire ? Les salles de classe sont déjà bondées au lycée, complexifiant de facto la discussion et les débats. De plus, les enseignants manquent cruellement de matériel et de formation, notamment dans les domaines de l’informatique et du numérique, et sont souvent livrés à eux-mêmes. L’éducation citoyenne risque donc, comme c’est actuellement le cas, d’être reléguée au rang de second plan. À ce jour, envisager une éducation civique décente au lycée relève de l’utopie.
Et c’est encore plus difficile lorsqu’il n’y a aucune volonté des pouvoirs publics de miser sur ces réformes. D’autant que le sujet est depuis longtemps sur la table, sans avoir jamais trouvé de débouché législatif. Déjà en 2017, Jean Luc Mélanchon, alors candidat France Insoumise à la présidentielle, avait porté cette proposition. Le vote à 16 ans avait aussi été évoqué lors du grand débat national consécutif à la crise des Gilets Jaunes. Si la société civile et l’opposition parlementaire sont du même avis sur ce sujet, qu’attend le gouvernement pour lui donner vie ?
Tout porte ainsi à croire que la mise en œuvre de cette proposition de loi, mais plus globalement une réforme sérieuse de l’enseignement, risque d’être longue et truffée d’embuches. N’est-il donc pas plus judicieux d’impulser en amont une restructuration des programmes pour initier les lycéens à la vie citoyenne, pour en aval leur accorder le droit électoral ?
Tel fut en tout cas le choix de l’Allemagne qui est souvent prise en exemple dans les débats. En effet, dans les Länder où le droit de vote est accordé dès l’âge de 16 ans, les étudiants bénéficient d’enseignements spécialisés notamment sur la laïcité et, ce, dès la sixième. Et en Allemagne, les électeurs ont été 76% à se déplacer pour aller voter en 2017 pour les élections fédérales, tandis qu’en France c’est à peine 48% des électeurs qui ont voté aux élections législatives. Il ne peut pas avoir de citoyenneté sans éducation à la citoyenneté.
Entre désintérêt manifeste et manque de représentation, le vote à 16 ans, une solution ?
Malgré une bonne volonté évidente de mettre les jeunes au cœur du débat politique, leur conférer le droit de voter dès 16 ans paraît, à l’heure actuelle, utopiste et compliqué à mettre en place. Au-delà de l’éducation, il est important de souligner que les jeunes restent les plus absents lors des élections. En effet, lors des élections européennes en 2019, 60% des 18-35 ans ne se sont pas rendus aux urnes (sondage Ipsos). Ce fort taux d’abstention peut s’expliquer, tout d’abord, par un désintérêt de la vie politique des jeunes en France mais également par un manque de représentation politique des intérêts des 18-35 ans.
Avec ce taux d’abstention important chez les jeunes, on peut alors se poser la question de la réelle utilité de mettre en place le droit de vote dès 16 ans. En effet, si les jeunes de 18 ans ne se sentent déjà pas assez représentés politiquement, qu’en est-il de la représentation politique des jeunes de 16 ans, dans la majorité des cas, lycéens. Permettre aux jeunes de voter dès 16 ans, n’est ce pas octroyer un droit à des citoyens très peu représentés ?
Se rendre aux urnes est un des principes fondateurs de la démocratie représentative. Que se passe-t-il, cependant, si nous sommes peu, voire pas du tout, représentés ? Une des premières conséquences pourrait être l’abstention. Beaucoup de jeunes pourraient décider, tout simplement, de ne pas se rendre aux urnes. D’autres pourraient également être tentés de voter comme leurs proches plus âgés tels que leurs parents. Il y a, en effet, un risque que certains jeunes, ne se sentant pas assez représentés, préfèrent suivre les intérêts de leurs parents et, par conséquent, voter comme ces derniers.
En second lieu, la proposition de loi dévoile explicitement les limites inhérentes à l’inclusion dans le débat démocratique des 16-18 ans. Si l’argument selon lequel les jeunes souhaitent participer à la vie citoyenne comme en témoignent les manifestations passées (lutte pour le climat, contre les discriminations sexistes et racistes…) fait sens, nous ne pouvons que remarquer le rejet provenant du gouvernement et des institutions d’inclure cette tranche de la société dans le débat. Les manifestations trouvent leur source dans une démarche populaire, à laquelle les citoyens ont pris part. Qu’en est-il de l’inclusion des jeunes dans les débats parlementaires? Les partis politiques? Les initiatives locales? De nombreux intervenants convergeaient vers l’idée selon laquelle l’inclusion de la classe lycéenne dans le débat public devait passer par une inclusion dans les institutions elle-mêmes, ce à quoi la proposition de loi présentée semble sans réponse.
Toutes ces interrogations qui subsistent et qui sont pour l’instant sans réponses, nous laissent sceptiques sur la véritable efficacité et utilité de mettre en place le droit de vote dès 16 ans.
Juliette Mély, Nicolas Moreno et Pauline Perier
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