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[Critique] Où est l’art dans Lux Æterna et chez Gaspar Noé?

La sortie en salle d’un film de Gaspar Noé est toujours un événement unique, oscillant entre dégoût prononcé par certains critiques à Cannes et idolâtries pour un cinéma subversif et sans artifices. Le dernier projet de l’artiste ne dérogera sans doute pas à la règle : histoire de sorcières, choc épileptique, Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg en état de transe communicative… Au-delà de ce résumé alléchant se trouve en réalité l’oeuvre la plus mature du cinéaste. 

Détruire pour mieux reconstruire

Le dialogue d’ouverture opposant dans un split-screen les deux actrices vedettes du film montre à lui tout seul la force du moyen-métrage de Gaspar Noé. En plus d’offrir des rôles taillés dans la singularité de Dalle et Gainsbourg, aucun autre film du réalisateur n’a parlé aussi directement et efficacement de ce qu’il recherche depuis tant d’années déjà: l’émergence de l’Art à partir des relations humaines. Les comédiennes parlent avec liberté de leur carrière et leurs anecdotes respectives. Du recours à l’improvisation émerge déjà l’idée selon laquelle le cinéma n’est qu’un prétexte pour atteindre quelque chose de transcendent qui dépasse le cadre de la compréhension humaine. C’est ce que s’appliquera à montrer le réalisateur en détruisant une à une les règles du « cinéma » pour exprimer avec liberté dans un final grandiose son amour pour l’Art, pouvant survenir partout, n’importe quand.

La destruction du pur cadre cinématographique se réalise dans Lux Æterna à deux échelles différentes: sur la forme du projet (moyen-métrage en opposition au long-métrage traditionnel, cadre en split-screen témoignant de la pluralité des possibles artistiques, dissociation du son et de l’image allant jusqu’à rendre impossible le suivi des dialogues, abolition de la justification des couleurs à l’écran à cause du tonnerre) comme sur le fond: le film traite d’une réalisatrice qui tente de filmer une scène de mise à mort sur un bûcher. Gaspar Noé offre alors un spectacle de la maturité en changeant de méthode. Il n’est plus question de montrer la radicalisation d’une relation (amoureuse dans Love, au collectif dans Climax…) mais de parler directement du sujet désiré: le processus artistique, la manière dont la main humaine crée de l’Art. 

L’Art comme réponse supérieure à la religion

Lorsque l’épilepsie se termine, un carton de fin enfonce le clou: « Dieu merci, je suis athée ». Entre citation de films portant sur la sorcellerie (Häxan, Benjamin Christensen, 1922), le Dies Irae de Mozart et mises en scène de crucifixion, le film se sert du dogmatisme et des limites de la religion pour mettre en lumière (Lux en latin) la supériorité de l’art, sa capacité à faire émerger la transcendance de toute volonté artistique, pour la même éternité (Æterna en latin). Ce film en serait la preuve incarnée: au milieu du chaos magistral présent sur les lieux du tournage du film de Béatrice Dalle, tout est prétexte au partage et à la création artistique; que ce soit l’acteur qui tente de démarcher Charlotte Gainsbourg ou bien la beauté malencontreuse et incontrôlable qui résulte du défaut technique du décor à la fin. L’Art excelle plus que la religion à faire sortir ce qu’il y a de plus beau dans l’Homme en lui accordant la capacité d’atteindre le Beau, le Grand, l’Éternel. Les images font sans cesse appel à d’autres références cinématographiques (Jean-Luc Godard, Luis Buñuel, Carl Theodor Dreyer…) et abolissent le règne des textes sacrés: voici venu l’ère de l’imagerie et de l’audio-visuel, dans lequel la symbolique spirituelle est reprise pour amener vers un ailleurs, plus proche des aspirations religieuses que ce qu’on ne pourrait le croire. 

« Bien sûr j’aime quand l’écran cinématographique devient démoniaque et parvient à envoûter les spectateurs telle une transe chamanique. » 

-Gaspar Noé, dossier de presse de Lux Æterna

Au final, il résulte de ce moyen métrage une porte d’accès à l’art de Noé, une manière d’appréhender la richesse de son cinéma, dont la simplicité scénaristique assumée tente d’accéder au Vrai et au Beau, de procurer au spectateur la sensation ressentie par un épileptique, une seconde avant la crise, le faire vibrer avec une idée supérieure et commune à l’ensemble des Hommes. L’art chez Gaspar Noé n’a plus besoin d’un cadre formel pour s’exprimer, il peut venir de tous mais surtout, être ressenti par tous, tant que nous sommes capable de  voir la Lux Æterna prêcher sur un écran de cinéma la manière personnelle dont un réalisateur appréhende le monde.

crédits photos : Allociné

Nicolas Moreno

La rédaction

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