« Le souverain n’est composé que des particuliers qui le composent ». Rousseau considérait que la souveraineté ne pouvait émaner que du peuple par le vote. Or pour beaucoup, l’Europe est technocratique, élitiste voire illégitime alors que la plupart de nos représentants sont élus par les citoyens. La cause est à aller chercher ailleurs que dans le simple vote ou la légitimité des représentants des parlements et de la Commission. Dans son programme et ses combats politiques, E. Macron a voulu répondre à ce sentiment d’Europe anti-démocratique, voire, pour les plus irresponsables et fanatiques, de dictatoriale. Mais, il n’y a eu que peu d’actions concrètes.
Cette analyse constitue la quatrième partie d’un ensemble de cinq articles.
Article #4 : La souveraineté provient des urnes
Cassure
Une cassure semble s’être opérée effectivement entre l’Europe et les citoyens. Les causes sont complexes. Toutefois, la France s’est exprimée comme européenne pour la dernière fois en 1992 lors de l’adoption du traité de Maastricht. Déjà à l’époque, les soutiens au « non » craignaient que l’Europe puisse paraître aux yeux des citoyens comme lointaine et coupée des réalités.
Cette idée a gangréné la société dont l’aboutissement a été le refus du nouveau traité européen en 2005 par la France et les Pays-Bas. Il était alors impossible de passer outre l’avis de deux pays fondateurs, majeurs, moteurs de l’Union européenne comme cela a été « le cas » pour l’Irlande pour le traité de Lisbonne. Beaucoup diront que les élites n’ont pas écouté le peuple en raison de l’adoption du traité de Lisbonne, qui reprend la majorité du traité refusé en 2005. D’autres diront que Nicolas Sarkozy a fait de ce sujet l’un de ses arguments de campagne présidentielle en 2007 et que les français l’ont élu. Il parlait alors de « traité simplifié » ou de « mini-traité ». Il n’était plus question de Constitution. Pendant sa campagne, le candidat a affirmé sans ambiguïtés qu’il ne passerait pas par un référendum pour faire adopter ce nouveau traité approuvé par 336 voix à l’Assemblée Nationale.
La sociologie du vote accentuait cette impression de cassure avec 62 % des cadres supérieurs et des professions libérales ayant voté « oui » contre seulement 26 % des ouvriers et 38 % des employés. Le vote symbolisait aussi le basculement des classes moyennes. 62 % des votants s’opposaient au traité de Rome II contre 53 % en 1992 pour celui de Maastricht (sondage IFOP pour 20 minutes).
Jusqu’en 2017, à tort ou à raison, l’Europe a été dressée de toute part comme la conséquence de tous les problèmes. Immigration ? C’est la faute de l’Europe ! Chômage ? C’est la faute de l’Europe ! Désindustrialisation ? C’est la faute de l’Europe ! Pauvreté ? C’est la faute de l’Europe ! Ce serait oublier que la plus importante structure européenne est le Conseil européen, c’est-à-dire un Conseil où se réunissent nos chefs d’Etat élus démocratiquement. Le Brexit notamment est l’exemple de cette manipulation politique, de la maniabilité de l’opinion, à des fins électives.
Cette cassure a été renforcée par le vote Front National en 2014 lors des élections européennes et bien sûr en 2017 lors des élections présidentielles. La présidentielle s’est presque transformée en pour ou contre l’Europe. Les Français ont avant tout dit « non » au Front National. Seulement 1 Français sur 2 (52%) considère que la France bénéficie de son appartenance à l’Union Européenne contre 67% des citoyens européens (BVA Sondage la Tribune/Eurobaromètre). Dans le détail, l’attachement déclaré est plus élevé chez les cadres (74%), les 65 ans et plus (68%) et les habitants de l’agglomération parisienne (61%) alors qu’il est plus réduit chez les moins de 50 ans (49%), les habitants de zones rurales (46%) et les employés et ouvriers (37%).
L’expression de cette cassure a été à son paroxysme avec la crise des Gilets Jaunes. Le Président de la République a alors sorti, comme si elle venait de son chapeau, l’idée du Grand débat national. E. Macron a longuement médité cette idée, antérieurement à cette crise. Il avait en tout cas vu cette cassure et souhaitait organiser un Grand Débat à l’échelle européenne.
En effet, dans Révolution, il souhaitait organiser un débat européen sur le contenu de l’action et de l’Union, un « Projet pour l’Europe » afin de la relégitimer et de passer outre cette cassure. Cette magnifique idée a abouti à un trou de souris certes unique dans l’Histoire. D’avril à octobre 2018, pour la première fois de leur histoire, 27 États membres de l’Union européenne ont organisé des consultations simultanées de leurs citoyens. 70000 participants ont été comptés, très loin des cinq cents millions d’européens. Aucune couverture publique ou médiatique aussi importante que lors du Grand Débat National avec 1,5 millions de participants, un tiers en ligne, un tiers dans des réunions locales et le tiers restant dans des cahiers de doléances. Le choc de compréhension démocratique est donc à relativiser, même si le Président de la République a tenu ses engagements.
Décisions depuis 2017
Pourtant, malgré cet élan démocratique, il semble qu’E. Macron en ait fait moins preuve pour la désignation des nouveaux responsables européens en empêchant le Spitzenkandidat de devenir président de la Commission Européenne. En tout cas, c’est ce qui est à l’époque ressorti dans les débats en dehors de l’hexagone. Qui connaissait Manfred Weber ? Cet homme n’était présent que sur les listes européennes de Bavière. Il aurait par conséquent été élu par les Bavarois comme président de la Commission et non par les Européens. Il n’était en tête de liste dans aucun autre pays. C’est justement là que le problème s’est posé. Pour E. Macron, cet homme n’a été élu par personne et donc n’aurait eu aucune légitimité. Il s’agissait aussi pour la France de reprendre la main sur les dossiers européens. Emmanuel Macron s’était félicité de la « solution consensuelle » finalement trouvée, et du choix « extrêmement positif pour l’Europe ».
Le choix du candidat désigné n’a de sens que pour des listes transnationales. Or le Parlement européen a voté à une forte majorité de voix contre la création de «listes transnationales» lors des élections européennes. Mais l’Allemagne reste ouverte à ce type de liste pour 2024.
En somme, quel bilan pour E. Macron pour la démocratie européenne ? Le Président de la République a su prendre le leadership démocratique européen en s’imposant en 2017 et lors des nominations des membres de la Commission. Mais face aux citoyens circonspects, le Président de la République, malgré son action sur ce point allant dans le sens de la compréhension, n’a pas réussi à organiser un Grand Débat Européen significatif, et a reçu une fin de non-recevoir pour des listes transnationales. L’impulsion de Macron a abouti à une insignifiance démocratique européenne. Pour résumer avec une image, Il a prêché dans un désert.
Adrien-Guillaume Padovan
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