Dans le cadre de la première édition du Prix littéraire On’, nos rédacteurs-jurés ont lu avec assiduité les 13 livres en compétition, pris des notes sur leur ressenti et vous proposent une série d’articles pour vous faire saliver en attendant de vous révéler le nom des lauréats. Aujourd’hui, on analyse pour vous Les soeurs Brontë, la force d’exister, un ouvrage de Laura El Makki en lice dans la catégorie “Documents”.
« Être un homme » : telle sera la solution des sœurs Brontë pour faire connaître ces textes qu’elles écrivaient depuis leur plus tendre enfance. Car dans cette Angleterre industrielle, être une femme n’a rien de très palpitant, surtout quand on est fille de pasteur. Laura El Makki redonne des couleurs à celles qui ont eu « la force d’exister ».
Biographie d’une sororité complète
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est bien la vie des trois sœurs qui est racontée dans cette biographie, trois sœurs qui ont grandi ensemble, auprès d’un père aimant. Homme d’église, ce dernier les initie très tôt à l’écriture, devant rédiger ses sermons quotidiennement. Néanmoins, Laura El Makki ne tombe pas dans la facilité de les mélanger : elle dévoile le caractère de chacune d’entre elles, qui transparaît dans leurs écrits.
Si elles perdent leur mère très tôt, elles n’en ont pas moins eu une enfance très heureuse. Choyées, elles ont grandi dans une insouciance certaine. Seulement, elles voient venir le jour qui marque le début de leur éducation. Si leur père peut faire le nécessaire au début, il se résigne à les envoyer dans une pension, certes lointaine, froide, rigoureuse mais c’est la seule qu’il peut payer à ses filles et qui leur donnera les moyens de travailler par la suite. C’est avec horreur qu’elles découvrent ce monde très différent de la lande où elles aimaient se promener. Leurs petits corps sont maltraités par le froid, la mauvaise nourriture. Toutes les trois en gardent un souvenir amer. Elles manquent d’y mourir, à cause de la tuberculose qui décime les populations européennes. C’est dans cette enfance difficile mais gouvernée par la nécessité qu’elles trouveront cette force existentielle, grâce à laquelle elles luttent sans relâche.
Publier, un choix qui prend du temps
Les trois sœurs ont eu une vie bien trop courte (seule Charlotte atteindra l’âge de 38 ans) : elles n’auront pas eu le temps de nous laisser tout ce qu’elles voulaient écrire. Des projets, elles en ont eus ! Laura El Makki nous les montre, nous les résume : se plonger dans les ébauches, comprendre les aspirations, voilà ce que permet ce livre.
La publication de leurs œuvres prend du temps : difficile pour elles de se décider à faire lire ces textes qu’elles échangeaient auparavant seulement entre elles. Ce qu’elles avaient toujours considéré comme un jeu devient alors une affaire sérieuse. Cette lenteur de la décision est aussi celle de la biographie : il faut attendre les deux tiers de l’ouvrage (très exactement la page 176) pour voir apparaître cette fameuse première publication poétique.
Car oui, ces trois sœurs, qui sont connues par leurs œuvres romanesques et narratives, sont toutes des poétesses. Cette biographie est bien une invitation au voyage, entre l’œuvre inachevée et l’œuvre inconnue. Se dessine ici la limite de l’ouvrage : lire Les sœurs Brontë n’est appréciable que lorsqu’on aime ces trois sœurs, que l’on veut les connaître intimement. Cette biographie ne laisse apparaître qu’en filigrane les conflits sociaux de l’époque, comme le font les œuvres des écrivaines.
Le jour où finalement elles se décident à publier leurs œuvres, elles doivent se cacher derrière le nom d’un homme. L’anonymat sera paradoxalement la condition même de leur existence dans le champ littéraire. À cela s’ajoute le fait qu’elles n’appartiennent à aucune mouvance littéraire : ce qu’elles écrivent est indéfinissable, leur ressemble. C’est ce qui fait leur succès.
Biographie pour fiction
Si certains thèmes de leurs œuvres trouvent leur origine dans les expériences traumatiques de l’enfance, il n’en demeure pas moins qu’elles ont choisi la fiction. L’alcoolisme de leur frère, artiste raté et joueur compulsif peut expliquer le personnage de Shirley, dans le roman éponyme de Charlotte Brontë, ou encore l’expérience de gouvernante d’Anne dans Agnes Grey. Mais il est bien réducteur d’envisager leurs ouvrages sous ce prisme et c’est l’écueil qu’évite Laura El Makki.
Contrairement aux biographies traditionnelles qui tentent bien trop souvent d’établir des parallèles (trop) forcés entre une vie et une œuvre littéraire, la biographe fait le choix de nous inviter à découvrir ces trois femmes par leurs œuvres. Alors même qu’elles sont trois, Les sœurs Brontë est un ouvrage court, qui ouvre des pistes de réflexion à propos d’une œuvre que l’on connaît encore trop peu.
Victoria Yanès
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