Les derniers mois ont vu surgir en France nombre de fractures et divisions économiques, sociales, culturelles et politiques, amenant avec elles leurs lots de tourmentes, passions, déraisons, et violences.
L’acte VIII du mouvement des Gilets jaunes signe ainsi la persévérance de la mobilisation dans le temps. Toutefois, le moment de la colère est passé, et ne peut plus perdurer. Il faut se donner les moyens de revenir au calme.
Des fractures multilatérales
C’est le plus marquant : le pays est indéniablement fracturé. S’opposent ainsi villes et « territoires », peuple et élites, ultramarins et hexagonaux, pauvres et riches, politiciens et gouvernés, etc. De plus, la classe moyenne doit supporter à elle seule une bonne partie de la charge fiscale exigée par l’Etat, renforçant un sentiment d’injustice sociale. Ces divisions se sont manifestées dans le mouvement des Gilets jaunes, qui a permis l’agrégation de souffrances et de colères individuelles diverses dans un nouveau collectif.
Par son action, le mouvement a pourtant continué à diviser la société française, dessinant une nouvelle opposition entre pro et anti Gilets jaunes. Et pire encore, en laissant dans l’anonymat les populations les plus pauvres et défavorisées — les populations des banlieues ne se sont pas jointes au mouvement ; très peu de barrages ont été observés dans le 93 par exemple. Elles qui ont déjà depuis longtemps abandonné l’idée de se faire entendre ou comprendre.
Les valeurs sociales petites bourgeoises vacillent
On ne peut comprendre ces fractures si on ne remarque pas que les valeurs et points de repères petits bourgeois sont devenus désuets et obsolètes. En effet, le travail est difficile à trouver et à conserver. Et la colère des Gilets jaunes provient du fait qu’il ne permet pas toujours de vivre dignement. Ensuite, la méritocratie ressemble à une douce illusion, tant les couches sociales sont cloisonnées. L’impression est souvent partagée que ce sont toujours « les mêmes » qui réussissent, ceux qui sont déjà favorisés par leur ascendance. C’est bien l’idée d’égalité des chances qui ne trouve plus de terreau dans la société des classes moyennes.
Enfin, l’épargne est plus que jamais dérisoire, les taux d’intérêts du Livret A étant extrêmement bas, sans compter que la menace d’une crise économique semblable à celle de 2008, ainsi que l’instabilité de la zone euro, peuvent faire renoncer l’épargnant éventuel. Ainsi, selon la Banque de France, le flux annuel des placements des ménages passe de 99,9 milliards au premier trimestre 2018 à 88,6 au second. La Banque de France note également une « diminution des placements bancaires et une accélération des assurances-vie en support euros. »
Comment refonder une unité ?
La manipulation des symboles d’unité nationale est insuffisante. L’échange républicain et cordial à l’Assemblée entre Jean-Luc Mélenchon et Edouard Philippe est certes beau, mais ne peut pas être tenu comme point d’accroche solide. Le problème est que la société est tant divisée que ce qui se passe en politique n’est plus considéré comme sérieux. L’Histoire l’a montré, les nations se sont construites en désignant un ennemi commun à tous. Aujourd’hui, l’ennemi de la nation, c’est son cœur même, déchiré et fracturé.
Une des failles les plus profondes, qui concentre en elle bon nombre des fractures déjà évoquées, est la faille territoriale. En effet, les accès aux services publics, aux transports en commun, sont plus compliqués dans les espaces ruraux qu’en ville, rendant l’utilisation de l’auto — accompagnée de ses coûts — indispensable. Si les inégalités existent évidemment dans la zone urbaine, l’échelle nationale permet de dessiner des inégalités flagrantes entre la France urbaine, périurbaine, périphérique, rurale et ultra-marine.
Il n’est pas anodin que des partis d’opposition comme les Républicains, menés par Laurent Wauquiez, ou le Rassemblement National de Marine Le Pen, aient choisi comme leitmotiv la défense des territoires, se dressant contre une politique urbaine mondialisée favorisant sans cesse ceux qui n’ont pas besoin de l’être. On remarque cependant que malgré ces divisions et inégalités, la politique locale n’est pas remise en cause : c’est la représentation nationale qui semble poser problème, quand les maires conservent la confiance placée en eux.
Ainsi, des cahiers de doléances ont été tenus par les élus locaux, à l’écoute de leurs administrés, et consultés par le gouvernement. Il apparaît que des personnalités comme Xavier Bertrand, président de la région des Hauts de France (LR), sont de plus en plus populaires, ce dernier ayant acquis l’image d’un homme proche du peuple et de ses préoccupations quotidiennes. Conséquence : Bertrand fait partie des six personnalités politiques les plus appréciées des français. On peut dès lors commencer à entrevoir une orientation politique à l’année 2019, qui appelle à se diriger vers la réduction des inégalités territoriales.
L’implantation locale du très jeune mouvement présidentiel La République en Marche est faible, et alimente ainsi l’idée que Paris gouverne pour Paris, en demandant aux autres territoires de s’y faire. Il semble aujourd’hui que les réponses nationales à l’urgence de refonder la société doivent repartir de ce qui maintient la confusion et la fracture : la multiplicité et la diversité des situations. Refaire nation aujourd’hui ne peut passer uniquement par le symbole : c’est dans la révision et le renouveau de l’enchevêtrement des réseaux territoriaux que se fera la refondation de l’unité nationale.
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