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Les 24 cases de Sorb'on — Case #12

Ypres, 26 décembre 1914 Ma chérie, Il nous est arrivé hier quelque chose de magique. C’était au petit matin, nous étions transis par la rude rosée de l’hiver. La boue et les rats avaient envahi notre tranchée depuis longtemps déjà. Nous nous apprêtions à charger de nouveaux obus lorsque, de l’autre côté de cet odieux […]

Ypres, 26 décembre 1914

Ma chérie,

Il nous est arrivé hier quelque chose de magique.

C’était au petit matin, nous étions transis par la rude rosée de l’hiver. La boue et les rats avaient envahi notre tranchée depuis longtemps déjà.

Nous nous apprêtions à charger de nouveaux obus lorsque, de l’autre côté de cet odieux no man’s land, nous entendîmes chanter. En scrutant la tranchée allemande, le sous-officier nous informa qu’elle était décorée de sapins. Lentement, les allemands quittèrent leurs retranchements, sans armes. Arrivés au milieu de ce paysage désolé, ils nous appelèrent à les rejoindre.

Et nous fîmes de même. Nous étions intimidés. Eux aussi étaient inquiets mais tentèrent de se montrer chaleureux. Certains d’entre eux nous offrirent des cadeaux. Karl, un jeune seconde classe, m’offrit une photo de son petit village, Geslau. Au dos, il inscrivit en allemand « Lorsque cette guerre dénuée de sens se finira, tu seras le bienvenu chez moi ». En retour, je lui donnai la vieille pipe que j’ai héritée de mon grand-père.

Pas un obus ne fut tiré hier.

Le soir, ils nous offrirent une merveilleuse surprise. Autour d’un maigre mais si chaleureux repas, l’un des leurs, Walter Kirchhoff, nous révéla être chanteur de profession et entonna le seul opéra que j’ai pu entendre de ma vie. Je n’ai pas de mots pour décrire la puissance de ce moment. Si bien que lorsqu’il finit de chanter, nous refusâmes de cesser d’applaudir jusqu’à ce qu’il revienne chanter à nouveau.

Ce fut la seule nuit que je passai sans angoisse ni cauchemars.

Aujourd’hui, nous avons encore discuté, partagé d’autres cadeaux et joué au football ensemble. Quel incroyable moment de bonheur.

C’est dans l’après-midi qu’une délégation de l’État-major nous convoqua pour nous passer un savon. On ne fraternise pas avec l’ennemi. Mais je me demande qui est vraiment mon ennemi… Nous décidâmes pourtant de prévenir nos amis allemands des bombardements qu’on projetait, et ils firent de même. L’État-major eut vent de cette audace. Mon régiment est transféré à Verdun la semaine prochaine.

J’espère que cette guerre immonde finira bientôt. Je veux revoir Karl.
J’ai plus que tout hâte de rentrer à la maison, auprès de toi.

Écris-moi vite, je pense à toi.

Joyeux Noël ma chérie, je t’aime.

La signature est barrée.

[Après avoir été transmise aux bureaux de censure des courriers de l’armée, cette lettre n’a jamais été envoyée.]

Pablo Deharo Berlinzani

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