Les inégalités de richesse se sont fortement creusées en 2017 dans le monde, révèle Oxfam, une ONG internationale. La moitié de la population terrestre n’aurait pas tiré le moindre bénéfice de la croissance mondiale l’an dernier, tandis que le 1 % des plus riches en a concentré 82 %.
Retour sur un rapport aux conclusions retentissantes, qui vise notamment à alarmer les dirigeants internationaux réunis au World Economic Forum à Davos la semaine dernière, auquel Donald Trump a prononcé un discours aujourd’hui.
Une reprise économique mondiale…
Dans le domaine des inégalités mondiales, les rapports internationaux se suivent et les constats qui en découlent se ressemblent. Dans la lignée du Rapport sur les Inégalités mondiales 2018 publié au mois de décembre, est paru « Récompenser le travail, pas la richesse » publié par Oxfam International. Cette confédération, qui a fêté l’an dernier trois quarts de siècle d’existence, rassemble une vingtaine d’organisations indépendantes affichant pour dénominateur commun la lutte contre les injustices et la pauvreté dans le monde.
Dans son rapport 2018, Oxfam s’est en particulier concentré sur les liens entre la croissance économique et sa répartition entre les individus selon leur niveau de richesse. Potentiel vecteur majeur dans l’amélioration des conditions de (sur)vie, la croissance planétaire est conditionnée par une juste répartition des richesses créées entre ses habitants. Et à l’heure où les enjeux liés au développement sont essentiels, la question des inégalités recouvre des conséquences capitales pour la planète : nombreuses sont les études ces dernières années (telles que celles de l’OCDE) qui pointent en effet le risque d’une croissance freinée par des disparités de revenu trop fortes.
Et cette question est de plus en plus d’actualité : au lendemain de la crise économique de 2008 — qui a entraîné une récession mondiale — la reprise économique mondiale pointe le bout de son nez depuis quelque temps. Celle-ci va s’accroître dans les prochaines années, rendant plus essentielle encore la question de la répartition des richesses nouvellement créées sur la planète, à l’heure où la pauvreté reste massive (800 millions de personnes vivent encore sous le seuil d’extrême pauvreté, soit moins de 1,90 dollar par jour). Tel est le contexte du rapport publié aujourd’hui par Oxfam.
… Qui ne profite qu’à une minorité…
Et à sa lecture, le moins que l’on puisse constater est que la croissance mondiale profite dans son ultra-majorité à quelques-uns, prolongeant une tendance que l’on observe depuis les années 1980. Parmi les richesses accumulées en 2017, pas moins de 82 % sont parvenues dans les mains des 1 % les plus riches de la population mondiale. Dans le même temps, la moitié des habitants n’ont pas récolté les fruits la croissance mondiale, alors même qu’une grande part y a contribué.
Au sommet de l’échelle des revenus, la situation des milliardaires illustre bien le déséquilibre de la répartition planétaire des revenus : consécutivement à l’accroissement des plus hauts revenus, il apparaît un nouveau milliardaire tous les deux jours, et ceux-ci n’ont jamais été aussi nombreux. Au total, 42 personnes détiennent autant que les 3,7 milliards de personnes les plus pauvres, soit la moitié de la population mondiale. Ils étaient 380 en 2009.
Une augmentation des milliardaires qui ne semble pas de bon augure : « Le boom des milliardaires n’est pas le signe d’une économie prospère, mais un symptôme de l’échec du système économique », affirme la directrice d’Oxfam, Winnie Byanyima. « On exploite les personnes qui fabriquent nos vêtements, qui assemblent nos téléphones portables et cultivent les aliments que nous mangeons, afin de garantir un approvisionnement constant en produits pas chers, mais aussi pour grossir les profits des entreprises et leurs riches investisseurs », s’est-elle insurgée.
Au demeurant, le rapport souligne que l’augmentation de la richesse des plus riches ne provient majoritairement pas de leur contribution directe à la croissance : « Au total, environ deux tiers de la fortune des milliardaires est le produit d’héritages, de monopoles et de situations de connivence » résume le rapport. Par ailleurs, à travers le réseau mondial de paradis fiscaux (dont les affaires des Panama et Paradise Papers ne semblent être que la partie émergée de l’iceberg de l’évasion fiscale), les grandes fortunes dissimulent au moins 7 600 milliards de dollars aux autorités fiscales… Près de trois fois le PIB français.
La France, justement, n’est pas exempte du phénomène d’accroissement des inégalités : 28 % des richesses créées en 2017 ont profité aux 1 % les plus riches, tandis que les 50 % les plus pauvres ne se sont partagé que 5 %. Aujourd’hui, 32 milliardaires possèdent autant que 40 % de la population.
… Au-delà du seul revenu
Oxfam pointe également d’autres types d’inégalités. L’ONG s’intéresse au travail des personnes démunies, au-delà du seul champ du salaire. Depuis les 3 millions de travailleurs qui perdent la vie chaque année suite à des accidents du travail (1 personne toutes les 11 secondes) jusqu’au fléau considérable qu’est l’esclavage (qui concerne encore 40 millions de personnes dans le monde) le rapport n’omet pas les autres maux mondiaux qui pèsent sur le travail et les libertés individuelles. La question de l’égalité des sexes occupe aussi une place centrale dans le rapport, les femmes payant le prix fort de ces inégalités. En effet, il y est démontré qu’à travail égal, les hommes perçoivent un revenu plus conséquent, des postes plus sûrs et plus prestigieux, et que les progrès vers l’égalité sont loin d’augmenter à un rythme rassurant. Aujourd’hui, 9 milliardaires sur 10 — y compris ceux qui le deviennent — sont des hommes.
Ne se contentant pas de dénoncer la situation, Oxfam propose aussi des solutions aux problèmes exposés. En particulier, la piste de favoriser le développement d’entreprises coopératives, et de règles de participation des salariés dans la direction des entreprises. Pour ce qui est de l’approche des revenus, l’ONG préconise de limiter les dividendes pour les actionnaires et dirigeants d’entreprises, ainsi que d’accroître la lutte contre l’évasion fiscale afin d’enrayer la distorsion des revenus en faveur des plus aisés, le tout pour permettre une redistribution plus juste des richesses.
Des résultats à prendre toutefois avec précaution
L’étude d’Oxfam peut cependant poser question concernant sa mesure des inégalités, qui a par le passé subi diverses controverses. En effet, la notion qualifiée de richesse par l’ONG cache en réalité la notion d’avoir net individuel : techniquement, il s’agit des actifs financiers que les individus détiennent ainsi que leur patrimoine, auxquels on soustrait ses dettes. Il ne s’agit donc pas des revenus perçus, mais détenus : une personne endettée dans un pays développé, quel que soit son niveau de vie, sera donc considérée comme plus pauvre qu’un travailleur pauvre dans un pays en développement. Les inégalités individuelles sont également comparées au niveau mondial, sans prendre en compte le niveau de vie de chaque pays, qui peut varier de façon conséquente. De plus, l’index utilisé provient du groupe financier Crédit Suisse, dont les données sont absentes dans plus de la moitié des pays étudiés, et qui oblige à faire des estimations sur celles-ci, potentiellement peu précises.
Par ailleurs, au-delà des considérations techniques, on peut se demander si les thèmes des inégalités et de la pauvreté, qui sont à la fois le fondement et le fer de lance de l’ONG, ne la poussent pas implicitement à surestimer les données.
Toutefois, si ces limites peuvent donc éventuellement fausser l’exactitude de certains des résultats affichés dans ce rapport, elles ne modifient en rien son constat global : à savoir que les inégalités continuent à se creuser sur la planète, à un rythme plus soutenu que jamais. Dans le monde, les écarts de richesse semblent se transformer en gouffre. Et à l’heure d’une tendance baissière de la fiscalité des plus hauts revenus, impulsée outre-Atlantique par Donald Trump, la question des disparités de richesse revêt plus que jamais une importance cruciale.
Le constat d’Oxfam arrive à point nommé, à l’aube du Forum économique de Davos, qui a lieu cette semaine. Ce rendez-vous majeur réunit depuis près de 50 ans de nombreux dirigeants internationaux pour discuter des grandes préoccupations économiques mondiales, dont celui des inégalités… Mais peine jusqu’ici à répondre à cet enjeu croissant pour la planète et ceux qui la peuplent.
Le rapport est consultable ici.
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