Comme nous, ils sont étudiants. Pour leur pays, ils ont décidé samedi dernier d’user de leur droit à manifester, devant l’université de Téhéran. Deux groupes opposés, pro et anti-régime, que la police anti-émeutes n’a pas tardé à disperser à l’aide de gaz lacrymogène. La majorité est descendue dans la rue pour dénoncer la corruption et la situation économique du pays, ainsi que la politique du président Hassan Rohani.
Des manifestations motivées
Le peuple iranien s’est réveillé et, depuis quelques jours, a décidé de se rassembler pour mieux clamer son mécontentement. Le pays survit plus qu’il ne vit en quasi autarcie depuis des mois. La cause en est le maintien de certaines sanctions internationales relatives au dossier nucléaire, et ce malgré l’accord du 14 juillet 2015. La situation de marasme économique a pris une telle dimension que la présidence de M.Rohani est remise en cause. Au pouvoir depuis juin 2013, après avoir été réélu en mai 2017, ce religieux modéré avait pourtant donné aux Iraniens l’espoir d’une rapide reprise économique. Bien que l’inflation soit aujourd’hui passée sous la barre des 10 %, un grand nombre d’entre eux se trouve encore en situation de difficulté économique au quotidien. Le taux de chômage demeure élevé (12 %), selon les chiffres officiels. Il a même gagné 1,4 point hausse par rapport à l’année dernière.
Parmi ces manifestants, on compte aussi des victimes de la faillite de dizaines d’établissements de prêts illégaux qui réclament dédommagements. Ils avaient été créés notamment pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. La corruption du régime écœure et le prix des œufs, aliment de base de la cuisine populaire iranienne, a presque doublé ces derniers jours. Certains députés tels que le réformateur Mohammad Sadeghi s’attaquent aux « manquements et défaillances dans la gestion du pays ». Des retraités, des ouvriers et des enseignants attendent depuis des mois de toucher leur salaire. Dans le même temps, des sommes considérables continuent d’être versées à des organisations religieuses et militaires aux activités plus qu’opaques. Très rapidement, les manifestations ont donc pris une tournure politique, visant tout le système et la diplomatie régionale de Téhéran. « Abandonne la Syrie, occupe-toi de nous » pouvait-on entendre tonitruer au sein de certains groupes.
Un rassemblement d’ampleur inédite
Quelques centaines de personnes seulement se sont mobilisées. Mais c’est la première fois qu’autant de villes — une quarantaine — se soulèvent depuis l’élection présidentielle de 2009 et le mouvement contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Le gouvernement en a d’ailleurs profité samedi pour appeler des dizaines de milliers d’Iraniens à défiler dans la rue afin de célébrer l’anniversaire du grand rassemblement pro-régime organisé il y a huit ans.
La tenue de ces manifestations est pour autant surprenante, surtout quand on connaît la fermeté des forces de sécurité anti-émeutes. Malgré tout, les manifestants sont apparus plus déterminés que jamais. Des vidéos transmises par les médias iraniens montrent que certains d’entre eux ont attaqué et parfois incendié des bâtiments publics, des centres religieux et des banques ou des sièges du Bassidj — milice islamique du régime. Ils ont aussi mis le feu à des voitures de police. En conséquence, les forces de l’ordre ont usé de canons à eau et arrêté plus d’un millier de personnes, dont 450 à Téhéran, où les rassemblements étaient pourtant moins importants. Une centaine a ensuite été libérée. Vingt-un morts sont également à déplorer depuis le début des rassemblements. Qui manie cependant les fils de ce mouvement sans leader et largement provincial, faisant la part belle aux membres des minorités ethniques et religieuses ? Aucun des deux leaders de l’opposition au gouvernement, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, assignés à résidence depuis 2011, n’ont pour l’instant été mentionnés. Il ne s’agirait donc pas en théorie d’une tentative conservatrice dans le but de déstabiliser la présidence de M. Rohani.
Une réaction tardive de la part du gouvernement
Ce n’est que dimanche soir que le Président Hassan Rohani s’est exprimé pour la première fois à la télévision afin de condamner « la violence et la destruction de biens publics ». Il a tout de même tenu à noter la nécessité de créer « un espace pour que les partisans de la révolution et le peuple puissent exprimer leurs inquiétudes quotidiennes ». Après avoir appelé au calme, il a néanmoins témoigné d’une volonté de fermeté envers les « fauteurs de troubles et hors-la-loi ». Ces rassemblements n’auraient en effet pas obtenu d’autorisation de la part du régime.
Alors que ses adversaires conservateurs réclament une répression féroce contre « ceux qui sèment le désordre », le chef de l’État tente lui de ménager les manifestants. Le porte-parole du gouvernement a par exemple annoncé samedi soir que le prix de l’essence — aujourd’hui fixé à 20 centimes d’euro le litre — n’allait finalement pas doubler en 2018. Rohani est donc revenu par obligation sur sa décision prise il y a trois semaines.
Sur Twitter, son ministre des télécommunications, Mohammad-Javad Jahormi, a accusé en parallèle la messagerie cryptée Telegram, utilisée par des millions d’Iraniens, de soutenir le « soulèvement armé ». Internet est par conséquent resté accessible uniquement par intermittence sur les téléphones portables au cours de ce dernier week-end.
Quand le Grand Blond à la houppette s’en mêle…
Au lendemain du premier jour des manifestations, le président américain Donald Trump a twitté que « le temps du changement » était venu en Iran. Le considérant comme un « État voyou », il a osé clamer que « les régimes oppresseurs ne peuvent perdurer à jamais ». Il a conclu sur le fait que, selon lui, « le gouvernement iranien devrait respecter les droits de son peuple, notamment leur droit de s’exprimer. » Habile au point d’opposer une fois de plus le « peuple » iranien à ses dirigeants, Trump espère ainsi entacher l’image dont l’Iran jouit actuellement au sein de la zone moyen — orientale.
The people of Iran are finally acting against the brutal and corrupt Iranian regime. All of the money that President Obama so foolishly gave them went into terrorism and into their “pockets.” The people have little food, big inflation and no human rights. The U.S. is watching!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) January 2, 2018
En réaction, Téhéran a contesté en bloc ces déclarations, jugées « opportunistes ». Le Président Rohani en personne a dénoncé les déclarations de son homologue américain.
« Ce monsieur aux États-Unis qui veut monter de la sympathie à l’égard du peuple iranien oublie qu’il l’a traité de terroriste il y a quelques mois. Il n’a pas le droit de compatir avec le peuple iranien. »
Les relations entre les deux pays sont donc extrêmement tendues depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a promis de faire sécession au pacte signé par les P5+1 sous la présidence Obama.
Précisons enfin que le véritable leader de la République islamique d’Iran, aussi connu sous le nom de Guide suprême ou d’ayatollah Ali Khamenei a accusé mardi « les ennemis » de l’Iran — les États-Unis, Israël, les monarchies arabes du Golfe et des groupes d’opposition iraniens en exil — d’avoir armé et soutenu politiquement les manifestants.
Credits : STR / AFP
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