À moins que vous ne viviez dans une grotte, vous avez sans doute entendu parler du FillonGate, scandale financier surexposé mais tristement banal qui rythme actuellement la campagne présidentielle à droite. Les révélations du Canard Enchaîné ont deux intérêts principaux : pointer du doigt des pratiques qui se sont lentement installées en France au cœur même du fonctionnement du système représentatif, mais surtout, nous permettre d’admirer la défense de François Fillon et de son camp, qui consiste sans détour à contester l’incontestable et à jeter le doute sur la vérité.
On pourra s’amuser de l’apparente contradiction entre l’image de vertu que s’était donné le candidat il y a de ça quelques mois, et la posture jusqu’au-boutiste qu’il adopte aujourd’hui, ou même prendre de haut les analyses et les coups de sang de ses soutiens, qui dénoncent un « acharnement médiatique », « une exigence un peu totalitaire de transparence » ou encore un « complot de juges socialistes ». On pourra même rire, face à une opération de communication où le candidat distille avec une assurance presque gaullienne des phrases emphatiques comme : « La France est plus grande que mes erreurs », alors même qu’il plaide son innocence. Mais quelque chose dans ce discours, qui traduit à vrai dire une vision bien particulière du fonctionnement des institutions de la démocratie, peut en un sens, faire peur. C’est en effet un véritable tournant autoritaire dans la campagne du malheureux candidat LR qui se déroule sous nos yeux.
Les contre pouvoirs de l’État de droit opposé au « peuple »
Dans sa conférence de presse du premier mars, François Fillon a mobilisé une rhétorique des plus étranges. Nier l’indépendance des juges, des journalistes, crier au complot est une chose. C’est une attaque assez classique, contre laquelle les principaux concernés ont, probablement, l’habitude de se défendre. Mais monsieur Fillon ose mobiliser un discours qu’on ne croyait l’apanage que de la droite populiste qu’il dit souvent combattre : celui qui oppose le « peuple réel » aux vues des journalistes et au pouvoir des magistrats. S’il reste, c’est par ce qu’il « défend la démocratie », et que « seul le peuple peut décider », qui sera candidat, face à une cabale médiatico-judiciaire. Ainsi, tout son discours contribue à jeter le discrédit sur tout pouvoir de jugement et d’analyse émanant d’acteurs extérieurs.
Pour comprendre ce qu’il y a de dérangeant dans ce discours, il faut comprendre simplement, que dans nos démocraties libérales, le pouvoir judiciaire comme les journalistes qui font leur travail, sont supposés être un garde-fou au pouvoir des élus. Ce sont des instances supposées opérer un « contrôle » du pouvoir, garantir les principes et le droits fondateurs de la démocratie et permettre le bon fonctionnement de l’espace public. Ils sont, en ce sens, tout autant que les élus, les représentants du peuple souverain. Mobiliser un « peuple » concret, électoral, face à ces contre-pouvoirs dans le cadre de la conquête du pouvoir, est alors aussi irresponsable que dangereux. Comme le rappel Pierre Rosanvallon dans son interview dans le Monde : « il ne faut jamais oublier que la majorité électorale ne représente pas toute la société. D’où la nécessité de ne pas limiter la démocratie à l’expression électorale d’un peuple arithmétique« . Il est apparent ici que monsieur Fillon essaie de faire passer l’idée à son électorat que des ennemis intérieurs travailleraient à visage découvert contre la volonté du peuple.
La volonté populaire incarné dans l’UN
A vrai dire, le peuple, que Fillon mobilise depuis le début de cette campagne qu’il mène à la fois pour le poste de président et la virginité de son casier judiciaire n’est pas qu’abstrait : il l’incarne tout entier. Vous l’aurez sûrement remarqué, chaque candidat à la présidentiel mobilise une vision sacerdotale de l’exercice du pouvoir, dans laquelle il se met par l’intermédiaire d’un programme, au service du peuple de manière désintéressé. Chez Fillon, mis au pied du mur, on passe au stade supérieur : redresseur de tort, seul à posséder le projet à même de guider la France sur la bonne voie, il reste. Par ce que le projet LR qu’il porte « ne contribue pas à » mais « est » la France qui renoue avec sa grandeur. Il lutte pour une France « plus grande que ses erreurs », c’est à dire, pour la destinée d’un pays confondu tout entier avec sa destinée personnelle.
A partir du moment, où, l’intérêt général est incarné tout entier dans un personnage combattant aussi explicitement toute forme de contre-pouvoir, absolument tout est justifiable. D’autant plus qu’en ce qui concerne sa légitimité démocratique, François Fillon a de solides arguments, en vue la mobilisation lors de la primaire de la droite et du centre. C’est par ce type de rhétorique que tous les pouvoirs autoritaires et hégémoniques commencent : le peuple est présent partout, mais uniquement en appui du chef, et défini par opposition à un « autre », toujours indéterminé. Le chef, qui incarne la nation, peut ainsi combattre tout et tous ceux qu’il réduit à leur extériorité par rapport au « tout ». Il est alors normal de porter atteinte à l’indépendance des juges, des journalistes, car seul compte, dans le fonctionnement de ces « démocraties hégémoniques » (concept d’Alain Rouquié), la volonté du peuple.
Est-ce si grave que ça ? Que ce discours autoritaire soit mobilisé par un candidat qui sent que ses chances d’être élu s’envole n’est pas un désastre, mais est extrêmement révélateur de l’état actuel de notre système représentatif. Rappelons nous de tous les candidats à droite qui se disaient « anti-système » à l’entame de la campagne. De la candidate qui arrivera sans doute première au premier tour de l’élection, qui mobilise cette rhétorique depuis maintenant plusieurs années. Et surtout, rappelons nous du succès de cette idée du peuple et de son rapport aux institutions outre-atlantique.
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