L’une des conséquences du Brexit pourrait être un probable déménagement de l’Agence Européenne des Médicaments, basée aujourd’hui à Londres. Fragilisé, ce gendarme européen du médicament pourrait poser de nombreux problèmes. Comme bon nombre de citoyens européens, vous vous poserez sans doute cette question. Qu’est-ce que l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) et quel rapport avec le Brexit ?
Créée en 1995, l’EMA est une Agence décentralisée de l’Union européenne en charge de la protection de la santé des 500 millions de citoyens européens jouant un rôle essentiel dans la préservation de la santé publique au seins de l’Espace Economique Européen (UE, Norvège, Islande, Lichtenstein). La mission principale de l’Agence consiste en l’évaluation scientifique des nouveaux médicaments, aussi bien à usage humain que vétérinaire, développés par l’industrie pharmaceutique. Ces recommandations indépendantes forment la base des décisions de la Commission Européenne qui est en charge de la délivrance des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) au niveau européen. L’EMA est également en charge de la pharmacovigilance, ce qui consiste à évaluer les effets secondaires résultants de l’utilisation des médicaments autorisés.
L’EMA : quels enjeux ?
Quel rapport donc avec la sortie du Royaume-Uni de l’UE ? L’EMA, la plus grande agence décentralisée européenne avec environ 900 membres, est située au cœur de Londres. Une activation de l’article 50 par le gouvernement de Theresa May pourrait donc provoquer un déménagement de l’Agence, ce qui pose de nombreuses questions.
D’un point de vue économique, l’EMA représente un atout considérable. Cette Agence est un acteur clé du secteur de la santé qui, bien que peu connu du grand public, attire les grandes industries pharmaceutiques, massivement présentes dans la capitale britannique. C’est seulement en passant par cette agence européenne que les industriels peuvent obtenir une autorisation de mise sur le marché centralisée valide dans tous les pays de l’espace économique européen (EEE). Passage obligé, de plus, pour la grande majorité des nouveaux médicaments innovants.
Un déménagement de l’Agence forcerait donc de nombreuses entreprises pharmaceutiques à la suivre. Le Japon a d’ores et déjà prévenu Londres qu’un départ de l’EMA pourrait entraîner un transfert de fonds en R&D et de personnel vers le Continent. « L’Agence Européenne rapporte de l’argent, contrairement à d’autres agences européennes » explique-t-on à l’Agence. En 2016 le budget du « gendarme du médicament » s’élève à 325 millions d’euros ; la part de financement publique en provenance de l’Union Européenne ne représentant que 7% du budget total.
L’EMA est donc une source de rayonnement international pour la ville hôte, attirant de nombreux experts scientifiques internationaux et employant des fonctionnaires européens hautement qualifiés au fort pouvoir d’achat.
Un déménagement est-il possible ?
Une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne pourrait bien obliger l’EMA à quitter la capitale britannique. Même si l’Agence refuse de « s’engager dans des spéculations car aucune décision n’a été prise », de nombreuses villes ont, poussées par leur gouvernement ou par leur industrie pharmaceutique, d’ores et déjà annoncé leur volonté d’accueillir la plus grosse agence européenne. Malgré le refus de l’EMA de diffuser les noms des villes candidates, en voici une liste non exhaustive : Lille, Strasbourg, Lyon, Bonn, Francfort, Berlin, Barcelone, Madrid, Milan, Vienne, Copenhague, Dublin, Bruxelles, Leiden et Amsterdam. Les autorités maltaises, polonaises, grecques, roumaines, hongroises, chypriotes et suédoises ont également annoncé être intéressées. De toute façon, un déménagement, ou non, de l’EMA dépendra d’un « accord commun entre les Etats membres » et « des futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE », comme tient à le souligner l’Agence européenne. Il s’agit donc d’un dossier hautement politique.
Néanmoins, de nombreux facteurs vont être déterminants dans le choix de la nouvelle ville hôte. Depuis les résultats du référendum sur le Brexit, le moral des fonctionnaires de l’agence est au plus bas, ce que n’a pas manqué de souligner le directeur exécutif de l’EMA, l’Italien Guido Rasi. Dans une interview donnée au Financial Times le 3 janvier 2017, il alerte les responsables politiques sur une hémorragie au sein des cadres et fonctionnaires de l’agence. Environ « 50 pour cent » du personnel pourrait quitter l’agence en cas de relocalisation dans une « ville indésirable », menaçant de fait le fonctionnement de l’agence européenne.
De plus, du point de vue des infrastructures, de par l’organisation interne de l’agence, certaines candidatures pourraient être caduques. Selon le site Politico, la présence d’un aéroport à très forte capacité est essentielle. Or, peu de villes candidates peuvent prétendre posséder un aéroport capable de concurrencer ceux de Londres. Selon le même site, Berlin est, de façon « surprenante », « peu connectée » au réseau européen ajoutant que seules Paris et Amsterdam seraient capables de remplacer totalement les capacités aéroportuaires de la capitale britannique.
Paris candidate ?
Pour l’instant cependant, Paris est absente de la longue liste des villes candidates, préférant postuler pour accueillir la « petite » Agence Bancaire Européenne (ABE). Avec le Brexit, Paris s’est mise à rêver : faire de Paris la nouvelle « City » ! Au-delà des choix un peu utopiques, des limites à ce projet sont nombreuses dues à un manque de bureaux libres et à une bourse française moins développée que sa concurrente outre-manche. Nous avons demandé à la Mairie de Paris les raisons qui ont poussé à ce choix. Aucune explication. Sujet trop sensible ? Incompétence sur le dossier ? Autant de questions qui resteront sans réponse.
Vers une nouvelle agence 100% britannique ?
Fin janvier 2017, le Secrétaire d’Etat à la Santé du Royaume-Uni, Jeremy Hunt a annoncé qu’il ne s’attendait pas à ce que son pays « reste au sein de l’EMA ». Un projet de création d’une superstructure fusionnant plusieurs agences britanniques déjà présentes, notamment la National Institute for Health and Care Excellence et la Medicines & Healthcare Products Regulatory Agency (l’Agence Britannique du Médicament), exerçant toutes les fonctions de l’Agence Européenne des Médicaments, est envisagé par de nombreux conservateurs.
L’argument principal consiste en une simplification et un gain de temps pour les industriels du secteur car un seul organisme se chargerait de la vérification scientifique, de son autorisation de mise sur le marché ainsi que de la fixation de son prix. Or ces derniers ne sont que peu favorables au projet arguant qu’un « régulateur autonome aurait des inconvénients significatifs ». De fait, les AMM délivrées par la Commission Européenne n’auraient aucune valeur au Royaume-Uni, multipliant les coûts et les procédures pour accéder au « petit » marché britannique. L’autre conséquence directe pourrait être une baisse d’attractivité du Royaume-Uni sur le marché des médicaments préférant l’UE en priorité, le marché étant plus attractif. Les délais pour accéder aux derniers médicaments innovants seraient donc plus longs.
En parlant d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne et de l’Agence Européenne des Médicaments, Guido Rasi a déclaré dans une interview au Financial Times le 3 janvier 2017, « je suppose que si nous perdons les 20% de la contribution de l’Agence britannique à l’EMA et au réseau européen, ils vont perdre de leur côté les 80% que l’UE lui apporte ». Si la renonciation de la Grande-Bretagne au Marché Unique pourrait s’avérer bénéfique pour le pays, les avantages pour les citoyens britanniques d’une sortie de leur pays de l’EMA paraissent nuls.
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