En se proclamant État, l’organisation terroriste « État Islamique » entend administrer un territoire et organiser la création d’une société civile qui adhérera à son projet politique. Quelle stratégie est mise en place par l’État Islamique pour s’implanter durablement dans les territoires qu’il occupe ? Quelle riposte l’Europe peut-elle mettre en place pour contrer le futur retour d’une génération qui n’aura connu que le système Daech ?
Un recrutement hétéroclite
Depuis l’instauration du Califat par Abou Bakr al-Baghdadi le 29 juin 2014, Daech attire de nombreux étrangers. Même si évaluer le nombre exact des recrues de l’organisation terroriste reste très difficile, on distingue trois zones géographiques de provenance : le monde russophone, l’Europe ainsi que le Moyen-Orient et le Maghreb. D’après le rapport d’information de l’Assemblée Nationale (AN) sur les moyens de Daech, le contingent européen représenterait environ 5000 personnes, « la France étant le premier contributeur ».
L’origine et les motivations des recrues de Daech sont variées. Certains admirateurs du Califat rejoignent la Syrie ou l’Irak pour combattre « les mécréants ». Des femmes, voire des familles entières, sont également recrutées pour occuper les territoires conquis. Daech tente également d’attirer des ingénieurs ou des scientifiques pour créer des armes chimiques ou biologiques et développer le « Califat ».
« Les lionceaux du Califat »
Pour s’implanter dans la durée, l’État Islamique (EI) cherche à rallier à sa cause l’ensemble de la population sous son contrôle. L’utilisation de la menace ou la distribution de ressources alimentaires n’étant qu’une solution de court et moyen terme, Daech a également développé une politique nataliste dans le but de conquérir une génération entière à sa cause et en faire une relève.
Les femmes, qu’elles soient syriennes, irakiennes ou européennes, sont la clef de voûte de cette stratégie. Une fois arrivées en Syrie ou en Irak, elles sont mariées à des djihadistes pour enfanter, parfois sous la contrainte. Même si le nombre d’enfants vivant aujourd’hui dans les territoires sous contrôle de l’EI est difficile à évaluer, on l’estime entre 10 000 et 35 000.
Le système scolaire de Daech
Dès leur plus jeune âge, l’idéologie islamiste est inculquée à ces enfants dans l’optique de créer une nouvelle génération de djihadistes. Comme dans tous les régimes totalitaires du XXème, l’objectif est de créer un homme nouveau. Dans le cas présent, il s’agit d’un soldat, religieusement pur, obéissant, loyal et sans sentiments humains.
Pour cela, Daech a mis en place son propre système scolaire dans le but de soustraire les enfants à leur famille et de créer une double rupture : l’une par rapport au système scolaire occidental, l’autre par rapport aux systèmes scolaires irakien ou syrien préexistants. L’école de Daech cherche exclusivement à inculquer l’idéologie islamiste. Selon le rapport de l’Institut Quilliam, un think tank londonien spécialisé dans le phénomène islamiste, l’école est rendue obligatoire pour les enfants de 6 à 15 ans et l’enseignement à domicile est interdit, extraire les enfants du contrôle des familles étant une nécessité. Les cours ont lieu du dimanche au jeudi et les classes sont ségrégées. Le contenu des enseignements ayant tous été revus, les matières, telles que le dessin, la musique, l’anglais ou la philosophie ont été supprimées et remplacées par « l’histoire de l’islam », l’apprentissage du Coran, du fiqh (jurisprudence) et la vie de Muhammad (Sura). Les cours d’éducation physique sont limités à l’apprentissage de la natation, de la lutte et du tir. Un enfant refusant de suivre les cours de Daech peut être exécuté ou bien torturé.
Un documentaire de l’émission américaine « Frontline » diffusé en novembre 2015 détaille bien les procédures de recrutement et de formation des jeunes garçons de 10 à 15 ans destinés à devenir des soldats. Ils peuvent également être formés à devenir des kamikazes, des espions, des bourreaux ou bien servir pour les propagandes de l’organisation terroriste. Les femmes, quant à elles, sont éduquées pour devenir de «bonnes mères et femmes» selon les principes islamistes. L’âge légal pour être marié est de «9 ans».
« Délaissez l’éducation des mécréants »
Mais les enfants encore présents dans les pays européens ne sont pas oubliés et font également l’objet de propagande islamiste. Dans sa revue de propagande Dar Al Islam, numéro 7, Daech décrit l’éducation occidentale comme « un moyen d’endoctrinement servant à imposer le mode de pensée corrompu » et à cultiver l’ignorance. Pour développer la méfiance des familles de confession musulmane, Daech dénonce la vision laïque de l’éducation française, « construite contre l’Islam » ainsi que sur la « banalisation de l’homosexualité et de la fornication », l’enseignement de la théorie de l’évolution, la mixité ou « l’interdiction de la prière », tout en citant des sourates du Coran.
Ce discours obtient un certain écho puisque des faits divers ont déjà rapporté des tensions entre enseignants et parents. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a par exemple été sollicitée sur la question de la mixité des cours de natation au sein des établissements scolaires suisses.
L’Europe face au retour d’enfants endoctrinés
Si l’organisation terroriste perd le contrôle des territoires syriens et irakiens, la question de l’avenir de cette génération se posera alors. En effet, les enfants nés de géniteurs de nationalité européenne pourront revenir dans le pays de leurs parents. Se posera alors la question de la reconnaissance juridique des actes de naissances émis par l’organisation terroriste ainsi que la filiation des enfants nés dans les territoires du Califat.
EUROPOL s’est alarmé d’un retour massif de ces enfants endoctrinés sur le territoire européen : « Le futur des enfants nés et élevés au sein de l’organisation État islamique est un problème qui mérite l’attention de la communauté internationale ». En effet, le retour de ces enfants djihadistes pourrait permettre au fondamentalisme islamique d’infiltrer la société européenne de manière profonde et durable.
Déradicaliser ces individus est donc une priorité afin d’empêcher qu’une « génération entière assimile que les conflits et la dévastation sont des éléments d’une vie normale ». Pour l’heure, les pays européens sont très mal préparés pour faire face à ce nouveau défi. Même si les premiers centres de déradicalisation ouvrent péniblement dans plusieurs pays européens, notamment en France, il n’existe pour l’instant aucune structure en capacité d’accueillir des mineurs. Or, il est impératif de ne pas rapprocher adultes radicalisés et ces jeunes enfants manipulables et déjà adhérents, pour certains, à l’idéologie islamiste.
En plus de ces centres pour mineurs, la Quiliam Foundation préconise une solution à l’échelon européen, à savoir la création d’une « Commission pour la protection des générations futures de la violence radicale » afin de mieux contrôler et superviser le suivi ainsi que la réintégration de ces enfants. Une coopération européenne face à cet enjeu est une nécessité, surtout dans un contexte de libre circulation et de pression migratoire.
Mais la bataille se joue également au-delà de la seule gestion des jeunes conditionnés. L’Institut Montaigne s’est penché sur la place de l’Islam en France. Dans son rapport diffusé en septembre 2016, un Islam français est possible, ce think tank libéral appelle à extraire Islam des influences étrangères, l’instauration d’un « grand Imam de France pour exprimer une doctrine musulmane compatible » avec les valeurs républicaines ou encore le développement de la connaissance sur l’islam. Reconnaître pleinement cette « communauté introuvable » de par sa diversité ethnique ou socio-démographique est donc une nécessité.
En Europe, « les fondamentalistes [islamistes] ont pris une avance considérable dans plusieurs domaines, mais, d’abord et avant tout, dans la diffusion de leur idéologie. Dès lors, le combat doit être idéologique et culturel. » selon Hakim El Karoui du même Institut Montaigne. En Irak et en Syrie, la structure étatique, rempart à la mise en place concrète de cette idéologie, est affaiblie. La bataille se jouera donc sur la capacité à recréer des États stables et puissants.
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