La campagne présidentielle de 2007 était celle des bloggers, 2012 était celle de Twitter. 2017 sera-t-elle celle de Youtube ? Le pionnier Jean-Luc Mélenchon a montré la voie il y a déjà 5 ans en inaugurant sa chaîne Youtube. Avec ses 190 000 abonnés et son statut de première chaîne politique de France, il pose la question d’un nouveau média au service de la politique. La course aux « likes » et aux « abonnements » chez les politiques commencent, les chaînes Youtube fleurissent à mesure de la compréhension de l’impact de Youtube dans une campagne. Mais comment ces chaînes sont gérées ? Certains ont saisit l’intérêt de Youtube : un média qu’ils peuvent contrôler puisqu’ils sont maîtres de ce qu’ils publient et toucher les jeunes. D’autres n’en n’ont pas encore vu le potentiel et sont très peu présents. Revenons sur les chaînes Youtube des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2017.
François Fillon, l’homme politique invisible sur Youtube
Le candidat des Républicains propose sur sa chaîne Youtube une gamme plurielle de vidéos : extrait de discours, passage dans les médias, interventions à l’Assemblée Nationale, FAQ ou encore discours de ses soutiens en meeting ou dans les médias. François Fillon n’est que très rarement face caméra. Sur 224 vidéos publiées, 14 nous permettent de voir François Fillon s’adresser directement aux utilisateurs de Youtube. Ces 14 vidéos sont ses « FAQ », vidéos dans lesquelles un citoyen pose une question sur un des grands thèmes de campagnes (immigration, retraite, pouvoir d’achat, énergie, école, famille) et François Fillon répond.
L’équipe de campagne a bien compris l’intérêt du format court (les FAQ ne font pas plus de deux minutes trente) et l’impact de faire apparaître des mots percutants sur la vidéo pour faire ressortir les idées essentielles du candidat. Cependant, la qualité du son est mauvaise et aucun effort de décor n’a été fait (M. Fillon est tout simplement dans son bureau). L’équipe de campagne ne semble pas avoir cerné le potentiel de Youtube. Avec seulement 3 300 abonnés, le candidat est distant de Youtube. Il fait prévaloir l’impersonnel au lieu de se mettre en scène face caméra à l’image de sa vidéo intitulée « Je vais réussir ».
Dans celle-ci, François Fillon n’apparaît pas, une voix-off commente une série de schémas dynamiques. Synthèse d’un programme, musique entraînante, dynamisme, clarté, format court (1 minute 35)… Tout y est. Excepté François Fillon. La vidéo est visionnée 700 fois… La présence du candidat sur Youtube montre son implication. François Fillon, qui sous-estime le potentiel de Youtube, va-t-il en pâtir dans sa course à la présidence ?
L’étonnante absence d’Emmanuel Macron
Le candidat de 39 ans joue bien souvent de son dynamisme pour convaincre. On l’attend naturellement sur Youtube. Cependant, lorsqu’on tombe sur sa chaîne comptant 5 500 abonnés environ et 65 vidéos, nous ne pouvons qu’être étonnés.
Comme les autres candidats, il partage ses meetings et ses interventions en intégralité dans les médias mais nous ne le trouvons jamais face caméra. Sur 65 vidéos, une seulement nous montre le candidat Macron s’adressant aux utilisateurs de Youtube. Dans cette vidéo très conventionnelle, il appelle simplement les électeurs à s’inscrire sur les listes électorales. Il faut aller sur la chaîne Youtube des « Jeunes avec Macron » pour trouver une vidéo du candidat face caméra s’adressant à la jeunesse en les invitant à aller sur le terrain. Cette vidéo n’est pas mise en avant sur leur chaîne. Emmanuel Macron est filmé avec un smartphone, comme au détour d’une rue. Le son et la qualité de l’image sont mauvaises. La vidéo n’a pas été pensée et fait preuve d’amateurisme. Emmanuel Macron a-il vraiment perçu l’intérêt de Youtube ?
Néanmoins, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron publie une vidéo par jour dans la rubrique « le décompte » (qui décompte le nombre de jour d’ici la présidentielle). Chaque jour, les internautes ont droit au portrait express d’un militant du mouvement « En Marche ! » qui explique pourquoi il s’est engagé pour Emmanuel Macron. À défaut d’une personnalisation de sa chaîne Youtube, il parvient à ne pas se faire oublier sur Youtube en donnant, par le biais de sa vidéo quotidienne, au moins une raison de s’engager avec lui pour 2017.
Le pionnier Jean Luc Mélenchon : « Le premier média sur lequel je peux m’appuyer, c’est moi-même »
C’est dans sa première « revue de la semaine » que Mélenchon prononce cette phrase. Il a bien compris l’intérêt de Youtube, et cela avant tout le monde : un média libre où l’on peut faire passer son programme, être insoumis au temps de parole qu’impose la télévision en période électorale et toucher les jeunes qui n’écoutent peut-être pas les matinales ou qui ne regardent pas le JT de 20 heures.
Avoisinant les 200 000 abonnés, il occupe la première place du classement des chaines politiques sur Youtube. Il a publié sa première vidéo il y a cinq ans, le 1er janvier 2012, pour souhaiter une bonne année 2012 à ceux qui le regardent mais aussi pour faire passer un message. Il invite le peuple à prendre le pouvoir au cours de l’année « chamboule-tout » que sera 2012. Actif depuis 2012, il mérite son statut de pionnier du politique sur Youtube. Générique, miniature, décor, qualité de son et de l’image, incitation à s’abonner à sa chaine ou à « liker » ses vidéos…
Mélenchon a adopté les codes de Youtube à l’image des plus grands youtubers Français. Avec son émission « Pas vu à la Télé », il développe un format d’émission sur Internet. Pendant une heure, il interroge un intervenant. Le but : montrer que les médias traditionnels nous mentent en n’invitant pas les bonnes personnes en plateau. Le décor de son émission a évolué. Pour les dix premières émissions, on est dans un café, l’ambiance est cosy, feutré. Un portrait de Marilyn Monroe, des vinyles de Johnny Cash, de Chuck Berry, l’affiche de Pulp Fiction ou encore une ardoise de café indiquant que l’assiette de charcuterie est au prix de dix euros sont des éléments du décor. Dans les cinq dernières émissions, le décor est plus épuré. Nous sommes dans un appartement, les fenêtres ouvrent sur une luminosité nouvelle et on dispose une plante verte pour une touche de verdure. Pourquoi ce changement le 20 octobre 2016 ? Jean-Luc Mélenchon, en se positionnant dans un cadre plus lumineux et ouvert, veut-il se donner une figure plus présidentielle ?
Mélenchon, quoique adepte des longs formats, a compris que Youtube aime la rapidité. Ainsi, il propose, en plus de ses vidéos en intégralité, des petits extraits de ses discours ou de son émissions « Pas vu à la Télé » de deux ou trois minutes. Avec 13 à 15% d’intention de vote à la présidentielle, sa popularité effective est-elle à mettre en lien avec son hallucinante popularité sur Youtube ? Dernière vidéo en date, un appel à Benoît Hamon publié le 1er février. En dix minutes, il demande à Benoît Hamon de faire un choix « entre la vague dégagiste et le sauvetage de l’ancien monde ». À bon entendeur.
Hamon et la jeunesse : Youtube au second plan
Même s’ils les ont désormais supprimées, lorsque l’on voyait les chaînes Youtube de Manuel Valls et d’Arnaud Montebourg, nous pouvions émettre l’hypothèse d’un certain rôle de Youtube dans une victoire dans les urnes. En effet, Arnaud Montebourg et Manuel Valls n’avaient pas perçu le potentiel Youtube comme a pu le faire Benoît Hamon. Cela a t-il servi le tout-juste élu candidat de la gauche ? Ses 3 300 abonnés en sont la preuve, le coeur de cible de Benoît Hamon n’est décidément pas sur Youtube.
Avec un programme éminemment axé sur la jeunesse, développer une chaîne Youtube fait partie de sa stratégie mais il table sur d’autres médias pour se faire apprécier des jeunes comme par exemple l’interview qu’il a accordé à Konbini visionnée plus de 2 millions de fois. Avec sa série « trois minutes pour parler », il développe un format court, sans fioritures ni décor volumineux. Il est simplement dans son bureau et se donne trois minutes pour présenter un thème phare de son programme : revenu universel d’existence, légalisation du cannabis, reconnaissance du vote blanc, le burn-out… En mobilisant un vocabulaire simple, des chiffres pour illustrer ses propos, en recourant au format court et en appelant les utilisateurs de Youtube à s’abonner, à « liker » ou à commenter la vidéo, le potentiel de la chaine est là mais du chemin reste à parcourir pour être sur les traces de Jean-Luc Mélenchon.
Jadot indissociable de son parti
Yannick Jadot n’avait pas de stratégie sur Youtube avant le 22 janvier dernier, date à laquelle il publie le premier épisode des « Jeudi #avecJadot ». Le format est long (une quarantaine de minutes environ) et la qualité de l’image n’est pas particulièrement bonne. Jadot mise sur la proximité et se rend, pour un apéritif, chez un de ses sympathisants. Les hôtes de ces apéritifs ne sont pas de simples sympathisants de Yannick Jadot mais aussi des candidats aux législatives de juin 2017 du parti EELV (le premier hôte n’est autre que Julien Bayou, candidat aux législatives et actuel porte-parole du parti EELV).
L’ambition de la vidéo n’est pas seulement présidentielle. On veut promouvoir tout un parti qui peut parfois manquer de visibilité. Ici, on veut frapper double : donner la parole à Yannick Jadot mais aussi faire connaître des candidats pour lesquels nous pourrions être amené à voter aux législatives de juin 2017. Du reste de sa chaîne Youtube, Jadot classe ses interventions médiatiques en diverses catégories (Europe, Alep, COP22, Notre Dame des Landes…). Avec 600 abonnés, il faut se poser la question de l’impact de son arrivée face caméra récente (22 janvier) : va-t-il persister et n’est-ce pas trop tard ?
Un Nicolas Dupont-Aignan pas si à l’aise que ça
Au-delà de ses interventions médiatiques et de celles de ses portes-paroles, ses meetings et ses annonces de très court format (quelques secondes) sur un fait de son programme qu’il nomme le plus souvent « appel ». Ce format de vidéo attire notre attention :« Nicolas Décrypte l’Actu », nommé d’après ses initiales (NDA). Pour lui, c’est un « moyen de (nous) parler directement sans le filtre des médias » comme il nous le confie dans sa première vidéo de cette série basée sur le modèle de la revue de presse de Jean-Luc Mélenchon. Toutes les semaines, il donne son avis sur les grands faits qui ont marqué l’actualité de ces derniers jours. Micro à la chemise, qualité d’image et de son correcte, format court (quinze minutes environ), la stratégie Youtube a été bel et bien travaillée.
Pour se donner une image dynamique, il donne comme décor à ces vidéos l’open-space de son QG de campagne et nous donne ainsi à voir en arrière-plan les membres de son équipe de campagne en train de travailler. Nicolas Dupont-Aignan est le candidat qui masque son nombre d’abonnés. Impossible de jauger son impact sur le site web d’hébergement de vidéos. Il n’a pas de quoi rougir de ses 9000 vues sur sa première vidéo « Nicolas Décrypte l’Actu » et il remercie dans la quatrième vidéo de ce même volet qu’il y ait de plus en plus d’inscrits sur sa chaîne, « cette télévision qui permet de diffuser (son) projet, (ses) convictions ». Mais alors, qu’a-t-il à cacher ? De plus, il désactive les commentaires pour certaines de ses vidéos. En étant un des candidats les plus présents face caméra sur Youtube, cette réticence face à la liberté de Youtube témoigne d’une peur face à un nouveau moyen de communication. Plutôt paradoxal pour un Nicolas Dupont-Aignan qui semble maîtriser les codes de la plateforme.
Florian Philippot assure le SAV de la campagne de Marine Le Pen
Il n’est pas dans la course à la présidentielle mais comment ne pas mentionner une chaîne Youtube qui a tant fait parler d’elle ces derniers temps. Le vice-président chargé de la stratégie et de la communication du Front National fait le Service Après Vente de la campagne de Marine Le Pen. Sa chaîne Youtube, lancée le 10 janvier dernier, a connu une évolution fulgurante puisqu’il a aujourd’hui 13 000 abonnés. Décor acidulé, musique entraînante en fond, pari du naturel (la pause café systématique en début et en fin de vidéo n’a pas manqué d’attirer les moqueries sur les réseaux sociaux)… Il y a une volonté de modernité, de simplicité et de pédagogie.
La première série de sa chaîne est « Parlons-en ». Dans ces vidéos de format moyen (moins d’un quart d’heure), il tend, en s’appuyant sur une démonstration, à se faire comprendre de tous et de rendre viable un des éléments du programme de Marine Le Pen. On veut convaincre. Par exemple, il se sert d’une balance sur laquelle il pose des petites voitures pour mesurer le poids de l’euro sur l’économie française et notre compétitivité. La simplicité du langage frappe. Il y a une volonté de se faire comprendre de tous : « les Suédois eux sont très contents » ; « les Finlandais eux sont pas très heureux de cette situation ». Une deuxième série vient de faire son apparition sur la chaîne de Florian Philippot, « Les coulisses de l’Escale », qui s’engage à nous faire visiter le QG de campagne de Marine Le Pen. Dans la première vidéo, déjà visionnée plus de 66 000 fois, nous pouvons visiter le bureau de David Rachline, directeur de campagne de Marine Le Pen. Si vous visionner cette dernière, l’importance est dans le détail (ne loupez pas la tasse Trump de David Rachline).
Marine Le Pen délègue sur Youtube
Marine Le Pen qui a créé spécialement une chaîne Youtube pour la campagne de 2017 (nom : Marine 2017), est la grande absente dans le présentiel du site web. Hormis pour présenter ses voeux ou pour souhaiter un Joyeux Noël, Marine Le Pen ne s’adresse jamais d’elle-même aux utilisateurs de Youtube. Elle conserve cette distance en désactivant les commentaires sur la plupart de ses vidéos. Elle ne fait pas campagne sur Youtube, on le fait pour elle. Un homme, sans doute un membre de son équipe de campagne ou du Front National (il ne s’est jamais présenté dans aucune vidéo), publie sur la chaîne de Marine Le Pen une vidéo par semaine en moyenne et défend le programme de sa candidate.
Cette rubrique intitulée « 2017, en toute simplicité ! » compte déjà neuf vidéos depuis sa création à la mi-décembre. On mise sur la rapidité du format (parfois moins d’une minute) pour convaincre. De plus, on s’appuie sur des chiffres pour rendre la chose irrévocable comme dans cette vidéo où l’homme inconnu nous affirme que les idées de Marine Le Pen sont majoritaires. Ce qui prime sur la chaîne de Marine Le Pen, ce sont les attaques envers François Fillon, son concurrent direct à la présidentielle puisque susceptible de lui voler quelques sympathisants. Ainsi, pour lutter contre le candidat de la droite et du centre, une série de vidéos intitulée « le vrai Fillon » tend à présenter les mesures de Fillon et de les discréditer. C’est un dessin animé qui joue sur le ridicule : voie-off ironique, musique entrainante, un François Fillon aux gros sourcils, des mises en scène comique… Par exemple, une vidéo présente les mesures en terme de santé de François Fillon avant de les décrédibiliser de suite en moins d’une minute.
Des douze premières chaînes Youtube, six sont au FN : Gilbert Collard, Marine Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen, Jean-Marie Le Pen, Florian Philippot et le parti du Front National. Le FN est venu cueillir les tranches d’âges les plus jeunes sur Youtube. Pourquoi cette cible ? Pour les Inrocks, les 18-25 ans du forum jeuxvideo.com se cherchent politiquement. On peut aussi bien être anarchiste que royaliste et se demander si le Front National peut représenter un avenir.
Le Front National a perçu cet électorat en devenir et est ainsi venu sur le terrain de jeu de la jeunesse pour la séduire avec ses codes. D’où cette prépondérance des membres de l’extrême-droite. Stratégie gagnante puisque selon un sondage posté sur leur site, 46% des 18-25 ans du forum jeuxvideo.com sont prêts à voter Marine Le Pen aux présidentielles. On peut alors mieux comprendre la course aux « likes » et aux abonnements sur Youtube lancée avec la campagne présidentielle. Les meetings sont une pratique institutionnalisée, le tractage sur les marchés poussiéreux, Internet est le terrain de jeu le plus en vogue depuis quelques années. L’intérêt de Youtube : toucher les jeunes souvent abstentionnistes et casser les murs de la communication classique. La transition Youtube s’opère mais la rupture avec les médias classiques n’est pas encore nette.
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