Aujourd’hui, jeudi 31 mars, c’est jour de grève : et Paris 8, comme à son habitude, ne déroge pas à la règle. Sorb’on est allé faire un tour dans ses locaux la semaine dernière afin de mieux comprendre ce qui, paraît-il, différencie l’université du Nord de Paris de ses consœurs franciliennes.
Jeudi 24 mars 2016. Comme une grande partie des milieux étudiants et lycéens nationaux, l’université Paris Vlll Vincennes Saint-Denis est en effervescence. Conformément à ce qui a été décidé en Assemblée Générale le mardi précédent, huit des entrées principales du campus ont été définitivement bloquées et les cours, par conséquent, banalisés. Toute la semaine, entre deux cours alternatifs, certains de ses étudiants ont pris part à des Assemblées Générales diverses et variées, faisant ainsi des aller-retours entre leurs salles de travail et l’amphi X, qui a été expressément investi par un groupe d’étudiants, déterminés à monter la garde de jour comme de nuit.
Depuis début mars, la mobilisation contre la réforme du Code du travail, telle qu’elle est portée par le gouvernement, bat son plein. À Paris Vlll tout particulièrement, on est fier de contribuer à l’amplification d’un mouvement, qui désormais a pour vocation de regrouper des segments du monde social de plus en plus hétérogènes. Les étudiants ne se concentrent plus seulement sur les questions liées au droit du travail, mais également sur des problématiques sociales à la portée plus étendue, introduisant une réflexion plus large sur notre système socio-économique résolument inégalitaire. Traiter de Saint-Denis pour nous, c’est traiter de toutes les formes que prend la mobilisation étudiante durant ce printemps 2016.
A Saint-Denis, mobilisation totale
Saint-Denis, pour ceux qui ne connaîtraient pas, c’est la fille biologique, institutionnelle et spirituelle de l’université de Vincennes dont on vous a déjà parlé. Ce que Saint-Denis a gardé de Vincennes, c’est une sorte d’esprit libertaire, une dissidence facile et une capacité d’autogestion salutaire à une heure où les universités ont une organisation de plus en plus verticale. Naturellement, c’est donc l’intégralité de l’université qui s’est emparée de la question de la loi du Travail. Et dans le cadre de cette mobilisation, c’est la totalité du lieu ainsi qu’une grosse partie du personnel et des étudiants qui se sont investis.
Indignés par les quelques graffitis ornant les murs de Tolbiac ? À Saint-Denis, les traces de la révolte sont partout. Du plus simple « Nik le travail » à la fresque de plus grande ampleur, chaque mur, chaque recoin de l’université est le terrain de l’expression de la révolte, dont sont animés une partie des élèves de l’université du Nord de Paris. L’université dispose d’un département artistique important, que les étudiants mobilisés exploitent : ils sont les premiers à réinvestir les lieux et à s’attacher à rendre la mobilisation la plus visuelle possible. Promenez-vous dans les couloirs du bâtiment A, entrez dans la première salle venue, et vous sentirez comme une atmosphère particulière, prégnante lors des jours d’émulation qui précèdent une journée de mobilisation.
À Saint-Denis, le réinvestissement de l’université n’est pas qu’une question de graffitis, évidemment. Les personnels enseignants et administratifs participent et facilitent l’action des étudiants. Plusieurs UFR, tel que celui de Sciences Po (en grève) participent ainsi officiellement au mouvement étudiant, en étroite collaboration avec un comité de mobilisation à l’organisation huilée. Certains professeurs, de leur côté, ont pris l’initiative de dispenser des cours alternatifs, dans le fameux bâtiment B-1, sur des sujets qui les passionnent, et enrichissent les élèves sur des problématiques diverses. Les salles occupées par les élèves sont aussi l’occasion de la venue d’intervenants pertinents comme un ex-conseiller de Myriam El Khomri, ou de projections de films véhiculant des messages sociaux et philosophiques bien loin des standards académiques. Les professeurs qui souhaitent toujours mener des cours ordinaires le peuvent bien entendu, sauf lorsque la fac est bloquée ; de la sorte, l’administration s’efforce de toujours garantir une certaine continuité dans les enseignements, même si ces derniers doivent être conduits dans des endroits parfois peu conventionnels.
Cette mobilisation est en partie permise par un soutien relatif de la présidence, qui consent officieusement, mais ne se positionne pas officiellement. Point de grande conflictualité ou de répression à Paris 8, où les sujets de friction autour des blocages et les occupations sont discutés dans le calme, en assemblée générale.
Une volonté de faire de la politique autrement
De manière similaire à Paris 1 actuellement, on peut décrire Paris 8 comme une réelle expérience de démocratie étudiante. Dans l’action menée au sein de la fac, il y a une véritable volonté d’horizontalité. A Saint-Denis, la mobilisation est tout d’abord acéphale : l’essentiel des décisions est pris en Assemblée Générale selon des modalités de démocratie directe, où chacun peut s’exprimer, proposer des motions et les voter. Les différentes commissions créées ad hoc en AG, font office d’organes exécutifs sous mandats impératifs : elles n’ont pas la compétence de prendre elles-même des initiatives, et doivent soumettre toutes leurs propositions en AG. Cette mobilisation est également largement apartisane : les syndicats étudiants ont bien entendu leur place et leur importance, mais n’ont pas la mainmise sur le mouvement. Il faut jouer le jeu de l’horizontalité, ou les militants peuvent être mis au ban du mouvement. Comme ailleurs, les élèves qui composent le cortège qui se déplace lors des manifestations, ont banni les drapeaux et autres autocollants syndicaux et partisans, privilégiant ainsi la mise en avant du caractère unitaire de la mobilisation.
En plus de l’Assemblée Générale de Paris 8, qui réunit plusieurs centaines d’étudiants deux fois par semaine, s’organisent aussi des assemblées générales par UFR. Prises en Assemblée Générale souveraine, les initiatives étudiantes P8 mettent en avant le caractère démocratique, unitaire, mais aussi égalitaire de l’action à mener. Notamment entre hommes et femmes, entre cis-hétéros et LGBTIQ, entre blancs et « racisés ». Si pour vous, petits étudiants de gauche qui nous lisez, l’égalité entre les étudiants sonne comme une évidence, sachez, qu’en pratique, ne serait-ce qu’en Assemblée générale, la domination des uns sur les autres s’exerce toujours de manière insidieuse. Pour lutter contre ces multiples effets élitaires, qui empêchent par exemple de nombreuses femmes de s’exprimer en AG, les élèves de P8 ont déjà entrepris de mettre en place des commissions non mixtes permettant la mise en avant ainsi que l’entraînement de paroles trop souvent « invisibilisées ».
Bien entendu, comme dans toute forme de mobilisation d’ampleur, il reste des limites, notamment en ce qui concerne la communication entre les départements. Il y a une tendance à ce que « tout le monde fasse son truc dans son coin » une fois les AG terminées : le travail entre un étudiant en cinéma qui fait des tracts vidéos, ne sera ainsi pas nécessairement coordonné avec celui d’un étudiant en sociologie qui organise un atelier de socio du travail.
Quoi qu’il en soit, il semblerait que Paris Vlll ait encore pas mal de choses à nous apprendre, et on vous invite vivement à vous y rendre, pour réellement appréhender l’ampleur du mouvement : car qui sait, peut être que de ce petit chaos quelque peu bricolé pourra naître, un jour, quelque de chose de plus grand…
Article écrit en collaboration avec Lucille Simonin
Photo Léo Lefrançois
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