C’est presque devenu un lieu commun un peu lourd, un discours de vieux con, que dis-je, presque un objet de militantisme artistique : Hollywood, la machine à rêve numéro un de la planète, n’aurait plus d’idées. L’ultime expression de cette absence de créativité : les trop nombreuses franchises, dont certains prédisent en permanence qu’elles provoqueront un ras-le-bol d’un public qui plébiscite le premier film un peu plus élaboré qu’un téléfilm Syfy (c’est pour cette raison qu’on n’évoquera pas dans cet article des œuvres telles que le dernier Fantastic Four ou Terminator). Alors, cinéphile comme non cinéphile, doit-on s’inquiéter de la multiplication des suites, prequels et autres spin-off ? Est-ce vraiment un phénomène inédit ? Doit-on priver pour toujours Colin Treverrow ou Zack Snyder d’une caméra ? Voilà les questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article.
La réalité d’un modèle économique
La fin de 2015 et l’année 2016, ont l’apparence d’une sorte d’apocalypse créative. Cette année est pour chaque gros studio, le début de plans souvent quinquennaux, qui nous permettront de nous manger, entres autres, jusqu’en 2021 : un Transformers (Paramount), un Fast and Furious (Universal), un Jurassic Park (Universal), 3 films Marvel Studios, 1 ou 2 films Star Wars (Disney), un film X-Men (Fox), un Ghostbusters (Sony), un spin-off d’Harry Potter (Warner Bros), un ou deux films Dc Comics (Warner Bros), ainsi que 3 adaptations de bouquin pour adolescent.e.s/de jeux vidéos/de mangas chaque année. Sans compter le retour de licences que vous pensiez périmées, tel qu’Aliens, Men in Black ou même Indiana Jones.
J’en oublie, j’en rajoute, je me moque un peu, mais la réalité est là : les grands studios se structurent de plus en plus autour de franchises, dont le succès juteux, semble émaner d’une logique très actuelle mettant en avant le marché, la concurrence et le marketing. C’est simple : pour exister, il faut avoir une, deux, plusieurs franchises fortes.
Un problème pas si nouveau que ça
Tout d’abord, les franchises (ou plus simplement les séries de films) ne constituent pas un phénomène nouveau. Même si leur proportion, notamment dans l’ampleur des moyens déployés et dans l’importance prise par le markting, est inédite. Avant Star Wars, avant les années 80, le public était déjà familiarisé avec ce mode de fonctionnement (cf. James Bond, French Connection ou Halloween). De même, les discours sur la décadence n’ont rien de nouveau et doivent être relativisés : Quentin Tarantino le dit lui-même [à propos des films de super-héros] : nous ne vivons pas la pire période d’Hollywood. Selon lui, les films des années 80 étaient sans doute plus mauvais. Il semble donc nécessaire de dresser un état des lieux plus contrasté de l’industrie hollywoodienne et d’interroger notre propre rapport à celle-ci.
Un succès croissant pour des films d’une qualité variable
Ces films marchent. Et très bien. En témoigne la multiplication des franchises milliardaires (Batman, Avengers, Fast and Furious, Transformers, Jurassic World, Les Minions), c’est-à-dire atteignant le milliard au box-office mondial (à relativiser, étant donné l’élargissement du marché, en Asie notamment). Le succès d’une licence originale est devenu dans le paysage actuel, une sorte d’anomalie. Inside Out est par exemple un des seuls films originaux à avoir cartonné cette année, pendant que des films comme Jupiter Ascending ou Tomorrowland ont été des non-évènements. Quelle est notre place, en tant que spectateurs, face à cette situation ? Ce sont ici nos modes de consommation du cinéma qui sont en question, et nos propres goûts. En ce qui concerne le cinéma populaire, ou le cinéma de genre dans son ensemble, il semble qu’il est essentiel que la sortie dudit film soit un événement, occupe le plus d’espace, pendant une période donnée (vous saviez que les Minions allaient sortir, même en ayant sincèrement rien à faire). Ces films semblent aussi devoir correspondre aux standards du moment, en terme de thèmes, d’écritures et de propos. Certes. Mais premièrement, ces films, malgré leurs manques d’originalité, sont parfois de qualité (Mission Impossible, ça sera certainement toujours bien, même avec un Tom Cruise gâteux et en déambulateur dans le dixième opus). Tout dépend de la qualité de cet artisanat pas comme les autres qu’est la construction de blockbuster aujourd’hui. Mais surtout, nous ne sommes pas dans un rapport de passivité absolue face à ces franchises : le public boude régulièrement des films à la démarche un peu trop exaspérante, ceux qui ne proposent rien.
Les bons films existent et existeront toujours
Si ces films, que tout le monde fait semblant de détester, peuvent être de qualité, ils n’empêchent en tout cas pas aux autres films d’exister (Il faut néanmoins avoir conscience que le développement d’un projet plus ambitieux est forcément plus difficile). Dans certains cas d’ailleurs, ils permettent même à des projets plus séduisants de voir le jour, dans la mesure où les studios financent aussi du cinéma d’auteurs prestigieux, comme des productions plus modestes. Chaque année de cinéma regorge aussi de projets géniaux qu’il nous appartient de soutenir, en dépit de leurs manques d’exposition. Si le planning de sortie des plus gros blockbusters semble effrayant, pensez aux nombres de pépites qui arrivent et continueront d’arriver. Il y a de la place pour tout le monde, la créativité n’a pas encore fichu le camp ; les acteurs de l’industrie nous écoutent et chacun tente de renouer avec une approche créative plus saine, alors que le cinéma indépendant offre de plus en plus de petits chefs-d’œuvre (comme It Follows, sorti cette année).
Photographie : James Colin Campbell.
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