Prenons un voyage Paris gare de Lyon – Valence : qui dans ce train a payé le même prix que vous ? Personne. De 45 à plus de 80 euros, la diversité des prix est effrayante. D’un tarif réduit Prem’s à un tarif pro, ces derniers peuvent être doublés. La raison semble simple : la SNCF tente de s’adapter à l’hétérogénéité de la demande.
Considérons maintenant deux personnes disposant toutes deux d’une carte de réduction au tarif jeune. Pour le même trajet, le billet leur coûte une cinquantaine d’euros. Les choses se corsent alors : il est quasiment impossible de trouver deux personnes ayant payé leur billet le même prix, bien qu’elles possèdent la même carte de réduction. La diversité de la demande est donc une chose, mais il semble exister une autre variable indépendante susceptible de faire fluctuer les prix.
Enfin, plaçons-nous devant notre ordinateur et choisissons ce même trajet pour le 31 décembre 2014. Nous faisons le choix de prendre le premier train de la matinée (6h58) et nous disposons d’une carte de réduction jeune : 52 euros. Le billet étant trop cher, nous décidons de regarder les prix d’un covoiturage, d’un billet d’occasion, etc. Après deux ou trois heures de recherche, rien de plus intéressant n’a été trouvé. Nous décidons donc de retourner prendre le billet de train vu plus tôt et là, surprise : le billet coûte 57,70 euros.
Qui n’a jamais été désemparé par ce genre d’expériences fâcheuses ? Rapide tour d’horizon des pratiques tarifaires de la SNCF.
Le modèle de la péréquation et la gestion des coûts marginaux : un système égalitaire ?
En 1938, la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF) est créée par la nationalisation de différentes compagnies privées. Se met alors en place un système tarifaire répondant à une politique égalitaire, basé sur la distance à parcourir. Mais l’égalité a un prix qui rapidement va se transformer en un endettement important de la compagnie. En effet, cette formule ne permet pas de prendre en compte les coûts fixes incompressibles tels l’émissions des billets, le contrôle des billets, qui sont d’autant plus contraignants pour la SNCF que les trajets sont en moyenne très courts.
En 1970, la SNCF lance un second modèle tarifaire dans lequel une somme fixe est dédiée à la gestion de ces coûts fixes permettant ainsi de limiter son endettement. Mais très vite d’autres obstacles se dressent devant la tentative de monopoliser le transport français sur ses lignes. Concurrence des voitures individuelles, développement du maillage national, du transport aérien, inauguration de sites communautaires dédiés au covoiturage, viennent bousculer le « service public » qui peine à se maintenir à flot.
Le Yield Management : « La gestion du rendement »…
Le Yield Management va alors faire sa grande entrée dans l’entreprise SNCF dans le courant des années 80. En même temps que le lancement du projet TGV Sud-Est (1981), la SNCF inaugure un nouveau modèle tarifaire dans lequel est ajouté une seconde somme fixe correspondant au coût de réservation.
Le prix des billets s’élabore à partir d’algorithmes informatiques permettant d’optimiser le taux de remplissage des wagons tout en faisant en sorte que le prix des billets se rapproche le plus possible de la somme maximale que chaque consommateur est prêt à débourser pour son voyage. Le but étant de s’adapter le plus possible aux personnes les plus solvables. Comme le souligne Jean Finez (2014), « le yield management est donc un changement de paradigme tarifaire, et non pas une simple automatisation de la discrimination des prix telle qu’elle existait dans les années 1970 et qui aurait été rendue possible par le développement des technologies de l’information. ».
Premières conclusions
D’un modèle tarifaire égalitaire où le prix était indexé sur la distance parcourue, à un modèle complexe de Yield Management, la SNCF a su s’adapter à une demande sans cesse renouvelée et à anticiper une concurrence intermodale (voiture, covoiturage, transport aérien intranational) et prochainement intramodale avec l’introduction de compagnies ferroviaires étrangères sur le réseau français.
Ce premier tour d’horizon rétrospectif nous permet, dans une certaine mesure, de comprendre la diversité des prix des billets. Reste à savoir si le Yield Management est le seul responsable de nos désagréments tarifaires…
Une hypothèse : l’Ip Tracking
C’est un article publié dans Le monde Blog qui m’a amené à penser une nouvelle hypothèse : l’Ip Tracking. Je n’ai malheureusement pu avoir confirmation de cette pratique à la SNCF, mais il semblerait qu’elle soit utilisée fréquemment dans le transport aérien. Dans l’état actuel des recherches sur la question, je me permets de présenter brièvement cette méthode « moins connue du grand public mais utilisée pratiquement partout, qui mériterait largement une enquête approfondie et une communication grand public qui aurait sa place dans un journal comme Le Monde » (Blog le monde, SOS Conso, 2014)
Lorsqu’un ordinateur se connecte à un serveur internet, ce serveur attribue une adresse IP au terminal, sorte d’identité qui est différente d’un serveur à l’autre, d’une journée à l’autre et d’un ordinateur à l’autre. Une fois connecté sur un site internet l’adresse IP est récoltée et permet de quantifier le nombre de connexions au site, de géo-situer ces connexions entrantes et d’apporter encore d’autres informations sur l’utilisateur. Une fois recueillies ces informations sont utilisées de différentes manières en fonction des sites, pays, et législation. Dans le transport aérien, ces informations sont utilisées pour une chose en particulier : inciter l’utilisateur à acheter son billet le plus rapidement possible et au prix le plus élevé qu’il est prêt à payer. En effet, si l’achat n’est pas conclu immédiatement et qu’une nouvelle connexion est établie avec la même adresse IP, l’observateur reconnaît l’utilisateur, se rend compte qu’il s’intéresse de nouveau à un billet en particulier et augmente en conséquence le prix de ce billet. L’utilisateur, ayant peur que le prix augmente encore lors de sa prochaine connexion, fait le choix d’acheter son billet immédiatement.
Pour tenter de prouver l’existence de cette pratique, il « suffit » de se connecter avec un ordinateur sur un site (ici la SNCF), de faire une simulation de trajet, de noter le prix. Ensuite, il est nécessaire de revenir quelques heures après sur la même page, rechercher le dit trajet et comparer le prix qui en théorie doit être supérieur au précédent. Une fois ce constat fait, il est nécessaire de se connecter avec un autre ordinateur à partir d’une nouveau serveur (IP différente) et de réaliser la même simulation : à la grande surprise des rédacteurs de l’article cité ci-dessus, le prix a repris la valeur de la première simulation : il y a eu utilisation d’un processus d’IP tracking.
Cette pratique questionne les droits et devoirs des utilisateurs du web et de l’utilisation des données personnelles. Il serait d’ailleurs particulièrement intéressant de se pencher sur cette problématique.
Les conseils
Acheter un billet à la SNCF au plus bas prix revient à mettre en place une véritable stratégie de contournement des logiques tarifaires. En effet, le Yield Management impose à l’acheteur de planifier le plus tôt possible son voyage, de s’empresser de réaliser son achat sur une date précise en dehors des périodes de pointe et sur des lignes peu fréquentées ; en gros à acheter un voyage de nuit, un 4 mars pour aller en Corrèze… Les probabilités d’envisager ce type de trajet sont faibles !
Plus sérieusement, la première précaution à prendre pour s’éviter des mauvaises surprises à l’approche des vacances, est de prendre ses billets en avance. Il faut ensuite veiller à choisir des horaires creux qui offrent des tarifs avantageux, envisager de se procurer une carte de réduction adaptée à notre demande, et enfin comparer les différentes variations de parcours proposées par la SNCF.
Le dernier conseil que l’on pourrait mettre en pratique « pour ne plus se faire prendre par l’IP tracking, [est de] réaliser toutes les simulations possibles et imaginables sur un terminal, et une fois le choix effectué, en utiliser un second pour réaliser la transaction. » On ne sait jamais…
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