En 1967, l’Australie perd son Premier ministre… au sens littéral : Harold Holt se balade sur une plage de l’Etat de Victoria, va se baigner et disparaît. Et si cela inquiète la population dans un premier temps, elle passe assez rapidement à autre chose, en élit un autre, et oublie ce pauvre Harold. Si cette histoire est étonnante, c’est certes parce qu’elle en dit long sur l’isolement de ce pays, mais aussi et surtout sur la connaissance scandaleusement réduite que nous en avons… Il paraît évident que si les Etats-Unis ou l’Angleterre avait perdu leur chef du gouvernement, tous les écoliers français connaîtraient cette histoire. Dans nos médias, français comme européens, l’Australie n’est que très rarement évoquée ; et si elle l’est, c’est quasiment toujours à propos de la victoire d’une équipe de rugby, ou du dernier adolescent avalé par un requin. Sur le plan politique, on évoquera vaguement le nom du nouveau Premier ministre lors de sa nomination, pour ensuite être oublié pendant trois ans. Si vous n’êtes pas convaincus par cette démonstration, posez-vous la question : que savez-vous de l’Australie ? Pas ce que vous croyez, pas ce que vous pensez savoir, mais qu’en savez-vous réellement ?
Les arguments expliquant ce dramatique manque d’informations sont simples, et honnêtement plutôt recevables : île-continent géographiquement isolée (du moins d’un point de vue européen), très peu peuplée (22 millions d’habitants), ayant une société relativement jeune (les premiers colons anglais n’arrivent qu’en 1770), il apparaît assez compréhensible que l’Australie n’intéresse que très peu. Mais ce manque d’attention est problématique dans la mesure où le jeune surfeur blond un peu béta, le kangourou, la société sans chômage et sans conflits (pour les plus renseignés) sont des clichés qui ont désormais la peau dure, et qui deviennent l’arbre cachant la sublime forêt qu’est l’Australie.
Pourtant, ce pays mérite vraiment qu’on attire l’attention sur son histoire, ses valeurs, ses paradoxes et son mode de vie. S’il n’est pas pertinent ou même possible de résumer l’histoire de l’Australie en quelques lignes, quelques points précis illustrent toute la richesse et la complexité de cette société méconnue, qui nourrit ainsi les fantasmes les plus fous. Les clichés qui suivent ont la vie dure, et méritent d’être démentis.
Non, l’Australie n’est pas isolée : en réalité, elle est simplement très liée avec ses voisins, plus qu’avec nous (ce qui ne paraît pas fondamentalement absurde) : l’Australie est l’un des pays de l’OCDE les plus ouverts aux investissements directs étrangers, et son insertion dans la région Asie-Pacifique est très forte (absorbant 71% des exportations australiennes et fournissant 52% des importations). La Chine est son premier client et son premier fournisseur, et son alliance avec les Etats-Unis depuis la Seconde Guerre Mondiale est qualifiée d’ « extraordinairement stratégique » par Julia Gillard, premier Ministre de 2010 à 2013.
Non, l’Australie n’est pas la « Suisse » du Pacifique. Malheureusement, cette idée préconçue selon laquelle l’Australie n’aurait aucune Histoire controversée et conflictuelle est fausse sur deux tableaux. Historiquement, l’Etat australien est loin d’avoir fait preuve de pacifisme et de libéralisme au sens large ; dès l’arrivée de la première flotte anglaise, menée par le Capitaine Cook, s’installe une relation basée sur la ségrégation et la discrimination avec les Aborigènes, peuple primitif arrivé 50 000 ans plus tôt, qui n’acceptera jamais les valeurs occidentales apportées par les Anglais. Divisés en 400 tribus parlant chacun un dialecte différent, rejetant toute forme de hiérarchie, basant leur religion et leur culture sur le Rêve, n’acceptant pas que l’argent ait une valeur, les Aborigènes auront subi de la part de ces nouveaux arrivants devenus Australiens une domination coloniale jusqu’en 1967, date à laquelle les étudiants australiens prennent conscience du drame qui se déroule dans leur pays : de 1880 à 1967, entre 40 000 et 100 000 enfants aborigènes sont enlevés de leurs familles et placés dans des familles blanches ou des institutions. La mémoire de ces « Stolen Generations » pose problème encore aujourd’hui, partie émergée de l’iceberg de la question aborigène. En outre, la question de la « neutralité diplomatique » de l’Australie se pose aussi aujourd’hui, en des termes politiques, avec un enchaînement de Premiers ministres très conservateurs n’hésitant pas à renvoyer les « boat people » arrivant en Australie vers leurs voisins aux droits de l’hommes plus que discutables (comme l’Indonésie).
Non, l’Australie n’est pas un « désert culturel » : il est vrai qu’elle ne dispose pas de siècles et de décennies de civilisation antique, de culture artistique, de bouillonnement intellectuel comme en Europe, qu’elle admire d’ailleurs profondément pour cela. Mais l’Australie est au carrefour de nombreuses influences : de la colonisation britannique, elle a gardé le système scolaire, le mode de vie, l’alimentation ; de sa fascination pour les Etats-Unis au XIXe devenue alliance au XXe, elle a gardé un système de valeurs assez individualiste, prônant l’affirmation de soi et garantissant le capitalisme, ainsi que l’urbanisme comme celui de Sydney. Et de l’influence asiatique, ainsi que de ses rapports aux peuples primitifs (Aborigènes mais aussi Maoris en Nouvelle-Zélande), l’Australie tire cette particularité indéfinissable qui la rend si belle, si ouverte d’esprit, si honnête et si fascinante.
Alors chassez de vos esprits ces idées préconçues et clichés rudement enracinés, rejetez ces images de surfeurs et de koalas et allez plutôt découvrir toute la profondeur de l’Australie !
Quelques sites pour percevoir différemment « nos voisins du dessous » :
http://www.radioaustralia.net.au/french/ site d’information en français
http://junkee.com blog d’opinion tenu par quelques australiens portant un regard assez critique sur leur société
Chroniques Australiennes de Bill Bryson, le génial récit d’un journaliste américain traversant seul l’Australie.
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